De Mort d’un mathématicien napolitain (1992) à L’Amore molesto (1995), Mario Martone ne cesse de sonder l’âme de Naples, sa ville natale. Dans son nouvel opus, son héros renoue avec des origines troubles. Le cinéaste chasse les fantômes sans être toujours à la hauteur de son sujet.
Naples est une ville qui ne change jamais. C’est du moins le sentiment que peut avoir le mal-nommé Felice, le héros tragique du nouveau film de Mario Martone. Après quarante ans d’absence, ce dernier revient sur les lieux de sa jeunesse afin de voir sa mère avant qu’elle ne meure. Maîtrisant désormais avec peine le dialecte de la ville et converti à une autre religion que celle qui domine le pays, il semble étranger aux quartiers de son enfance. Mais très rapidement, le brouhaha napolitain le rattrape. Il se souvient de sa vie de jeune voyou, à l’époque où il chevauchait sa moto, au côté de son meilleur ami, Oreste Spasiano. Il veut le revoir et se lance à sa recherche dans la zone la plus dangereuse de Naples, la Sanità, malgré les nombreux avertissements qu’on lui lance. Car Oreste Spasiano, désormais appelé le Maluommo, règne en maître de la Camorra sur le quartier et ses habitants.
Mario Martone met donc en scène à travers ces figures la cohabitation compliquée de deux institutions opposées et imbriquées qui hantent l’imaginaire italien : l’Église et la mafia.
Sans doute aussi hanté par sa ville natale que son héros, Mario Martone pose la question du retour au pays : peut-on revenir de l’exil, qu’il soit forcé ou choisi ? Peut-on jamais renouer avec son passé ? Dans cette quête perdue d’avance, Naples, ses mystères et ses traquenards, deviennent le terrain d’une enquête aux accents identitaires où se croisent en figures tutélaires, un prêtre particulièrement révolté par l’emprise de la Camorra sur les jeunes et Oreste Spasiano, devenu un baron de la mafia. Deux figures presque iconiques antagonistes qui semblent représenter deux chemins possibles qu’aurait pu choisir Felice : la criminalité et ses dangers ou une vie honnête. S’il a fait son choix quarante ans auparavant – il a fui Naples pour Le Caire histoire d’échapper au banditisme – la question semble se poser à nouveau et Felice tente de réconcilier ces deux irréconciliables. Mario Martone met donc en scène à travers ces figures la cohabitation compliquée de deux institutions opposées et imbriquées qui hantent l’imaginaire italien : l’Église et la mafia. Si la genèse et le cadre ont de quoi charmer et intéresser, la mise en scène demeure bien souvent trop classique et peine à frapper malgré des moments de grâce – on retiendra la scène bouleversante où Felice lave la peau fripée de sa mère dans son bain.
Naples, soleil amer
En 2022, le réalisateur américain Merawi Gerima creusait le thème de l’impossible retour dans son premier long-métrage, Residue. Il y mettait en scène un jeune cinéaste noir qui revenait après des années dans son quartier de Washington DC, devenu méconnaissable. Lui aussi partait à la recherche de son ami d’enfance et finissait par se perdre dans les dédales de ses souvenirs et de sa ville. Une trame similaire pour un traitement différent. Là où Merawi Gerima n’hésitait pas à exploiter avec créativité le souvenir sur différents modes filmiques, Mario Martone se borne à une mise en scène conventionnelle des fantômes qui hantent son héros. Il recourt sans surprise à des séquences en flash back, agrémentées d’un filtre vintage et coincées dans un cadre carré. Les personnages apparaissent comme les archétypes de jeunes et beaux ragazzi sur leur moto, faisant au passage un clin d’œil à d’autres couples de voyous – on reconnaît, comme un hommage, un plan de Gomorra de Matteo Garrone. Cette alternance convenue voire lisse entre le passé et le présent ne convainc pas totalement et ne donne pas à voir la rugosité nécessaire à la construction d’une tension dramatique, qui apparaît alors cousue de fils blancs.
Les longues déambulations du héros dans les ruelles étroites de la ville de Pino Daniele sont tout autant l’occasion de capturer l’essence de cet espace et de ses habitants saisis in situ, figurants malgré eux.
Là où le film excelle néanmoins, c’est dans cette peinture quasi documentaire d’une Naples sale, populaire, chaotique et vivante, cette Naples que Mario Martone connaît si bien. Les longues déambulations du héros dans les ruelles étroites de la ville de Pino Daniele sont tout autant l’occasion de capturer l’essence de cet espace et de ses habitants saisis in situ, figurants malgré eux. Au gré de ses pas et suivant ceux du prêtre – inspiré du véritable Don Antonio Loffredo qui a mis en place dans les années 2000 moult stratégies pour sortir les jeunes de la pauvreté et du crime – Felice rencontre ainsi des jeunes Napolitains qui semblent porter en eux le dilemme même du héros, tentés d’une part par la criminalité du quotidien, d’autre part par la voie que préconise le prêtre révolté. Mario Martone capture cette ambivalence permanente qui est le lot et comme la fatalité de ceux et celles pour qui Naples est le théâtre de leur destin.
Nostalgia ne surprendra donc pas mais parviendra peut-être à cartographier l’essence d’une cité qui semble pourtant insaisissable : Naples, cette ville que Pino Daniele qualifiait de « soleil amer ».
Nostalgia, un film de Mario Martone, avec Pianfrancesco Favino, Tommaso Ragono et Francesco Di Leva. En salles le 4 janvier.