Notre sexualité est aliénée. Dans son essai Désirer à tout prix, Tal Malesta nous montre ainsi que, dans notre société hypersexualisée, un corps qui ne désire pas est d’abord un corps dysfonctionnel : un corps à réparer. Et en effet, si nous regardons nos existences, la sexualité n’est-elle pas devenue, aujourd’hui, une énième injonction, un nouveau “devoir” à accomplir ? N’avons-nous pas intégré l’idée qu’avoir une sexualité intense et passionnelle est une nécessité pour maintenir une vie de couple épanouie ? Nous sommes conditionnés à désirer. Et pourtant, notre désir ne possède-t-il pas son rythme et sa vie propre ?
Tal Malesta rappelle également que la sexualité est traversée par des enjeux de pouvoir liés aux superstructures dans lesquelles nous évoluons, et qui nous conditionnent. « La sexualité n’est pas un simple terrain de développement personnel inaltéré par les violences, la domination, le capitalisme. », nous dit-il. Quant à Alexia Boucherie, son constat est encore plus radical : « l’hétérosexualité est un système politique qui soumet les femmes par la sexualité et le travail domestique », avance-t-elle.
La littérature contemporaine ne cesse de témoigner de l’aliénation de notre vie sexuelle, et de la violence que le patriarcat inflige, notamment aux corps féminins. Celui de l’écrivaine québécoise Nelly Arcan, décédée en 2009, en témoigne : ses seins refaits et ses cheveux teints portent les stigmates de l’injonction à plaire. Pour l’auteure de Putain, le corps féminin est d’abord destiné à satisfaire le désir de l’homme, « un sexe susceptible de faire bander. ». Le destin de la femme-objet, “toute entière fente”, est de se soumettre aux besoins masculins.
Mais notre vie sexuelle, aujourd’hui, n’est-elle pas en train de se redessiner ? La question du consentement, notamment, a fait irruption dans le débat public, remodelant notre façon de considérer notre corps, et nos partenaires. Comme nous le montre Diana Carneiro, l’émergence du consentement dans le débat public érode progressivement les dynamiques de pouvoir entre les individus et introduit une nouvelle éthique des relations intimes, dont le travail de Victoire Tuaillon témoigne. Pour la créatrice des podcasts Les couilles sur la table et Le cœur sur la table, qui interviendra chez notre partenaire RESO le 23 novembre, l’identité sexuelle peut-être déconstruite grâce à des politiques publiques d’éducation sexuelle et de prévention des violences.
Il est donc grand temps de dresser le bilan : comment fait-on l’amour aujourd’hui ? Existe-t-il encore une sexualité dissidente ? Et sommes-nous réellement en train de réinventer l’amour ?
Nous avons enquêté : nous avons radiographié la vie sexuelle contemporaine, des sexualités dissidentes à l’asexualité. Nos contributrices Sabine Audelin et Manon Galinha se sont immergées dans l’univers du cam sex et vous raconte cet univers, et ses habitués. Estelle Normand nous plonge dans le chaos orgasmique du chemsex, et se pose la question : peut-on réellement en finir avec les amours chimiques ? Le romancier Aymeric Patricot a enquêté sur la sexualité pour handicapés, entre dolorisme et érotisme chic.
Au terme de cette enquête passionnante, la question que Mira Migraine pose dans son magnifique récit Rien de sérieux me revient à l’esprit : et si, derrière la réinvention continue de nos manières de nous étreindre, de faire l’amour, de baiser, se cachait la même éternelle question ? Pourrais-je un jour être aimé pour ce que je suis ?