
Un combat spirituel
Une dialectique est au travail que l’on retrouve parfois dans les titres eux-mêmes des recueils : L’émotion L’émeute, Le lierre la foudre. Au sommeil de la raison s’opposent aussi le repos, la quiétude amoureuse, cette (in)tranquillité à la fois sereine et panique. La figure du jongleur, qui donne son titre à un ouvrage publié en 2005, concentre en lui toutes les contradictions, à l’image du « Génie » dont parle Rimbaud dans ses Illuminations. On songe aussi au Pierrot de Watteau ou aux personnages amoureux de Chagall, figures cosmiques d’une dialectique qui siège au cœur de l’existence : « Demain, il entrera dans la ville. Aux anges, il apparaîtra comme un ange, aux bêtes comme une bête », « Jamais il n’a été aussi proche du bonheur et de l’accablement ». L’amour est peut-être cette clé d’une parade sauvage où se livre un véritable combat spirituel. On sait depuis Rimbaud et Une saison en enfer combien est dramatique l’aspiration à « posséder la vérité dans une âme et un corps. »
Au sommeil de la raison s’opposent aussi le repos, la quiétude amoureuse, cette (in)tranquillité à la fois sereine et panique
L’expérience du véritable amour est à cette hauteur-là, à cette mesure parfaite à réinventer : « Elle était présente, elle était absente. / Elle me manquait dans sa présence, elle était présente dans son absence. / La page tournait dans son sommeil, les gris devenaient bleus. / Elle ne cédait pas au désir de mourir. » Elle, c’est l’amante bien entendu ; ce sont aussi ces deux filles auxquelles Pascal Boulanger rend souvent hommage. Mais c’est aussi la foi sur laquelle parie beaucoup moins le poète qu’il ne montre qu’elle est aux prises avec cette dialectique indépassable. Présente-absente, possible-impossible : une conquête quotidienne. Deux épigraphes sublimes l’expriment mieux que tout. L’une de Jean de la Croix en ouverture de Cherchant ce que je sais déjà : « Car sans ces éloignements, les âmes n’apprendraient jamais à s’approcher de Dieu », l’autre de Kierkegaard, en ouverture de Le lierre la foudre : « Le temps passait, la possibilité demeurait, Abraham croyait. / Le temps passa, la possibilité devint absurde, Abraham crut. » Rarement une poésie aura connu autant de dédicataires, de Marcelin Pleynet à Pierre Oster, en passant par Richard Millet ou Amandine Farges. La poésie est don sans attente de retour : « Est-ce possible un amour qui aime sans retour ? », se demande le poète dans Un ciel ouvert en toute saison, recueil écrit « Pour elles ». Telle est bien la rédemption possible qui s’ouvre à chaque page, comme s’ouvre le temps d’un instant tranchant une fleur en son jardin ; possibilité qui est celle de l’art quand on s’y adonne avec la ferveur de celui décidé à ne pas baisser les bras devant le travail du négatif : « Et là, le feu brille sans arrêt dans un vase de bronze », « Il n’y a jamais qu’une seule religion, celle de l’art. Toutes les volutes s’y accordent. »
Une rédemption toujours possible, probable, incertaine. Dans l’un de ses derniers recueils publiés en 2017 Mourir ne me suffit pas, le poète affronte aussi l’inéluctable défaite qui nous guette tous. Tragiquement, amoureusement : « Le mal progresse, j’accepte la défaite / dans la gloire des roses trémières / sur le soir / sur le dos. » « Quand on me fermera les yeux sur le vent / il ne faudra pas pleurer / mais dans la rosée de l’herbe / célébrer mes noces aux vitraux du ciel. » L’âme du lecteur acquiesce à cette poésie d’une lucidité absolue.
- Pascal Boulanger, Trame : Anthologie 1991-2018, suivie de L’amour là, éditions Tinbad.
Olivier Rachet