Philippe Brunel signe avec Le Cercle des obligés une œuvre saisissante qui mêle fiction et réalité pour replonger dans l’une des affaires les plus sulfureuses de la Ve République : le meurtre non élucidé de Stefan Markovic, jeune Yougoslave, ancien champion de lutte, doublure, garde du corps et homme à tout faire d’Alain Delon. À travers ce roman-enquête, Brunel dresse un portrait à la fois intime et cinématographique de la France trouble des années 1960-1970, où se croisent stars de cinéma, truands corses, et les ombres des plus hautes sphères du pouvoir.

« On a découvert un cadavre dans une décharge des Yvelines, ça doit être un clochard quelconque », estime le substitut du service pénal.. Ainsi commence l’affaire Markovic, un scandale qui allie cinéma, crime, sexe et politique, qui marqua à jamais la France des années 70. Dans Le Cercle des obligés, Philippe Brunel revient sur cette cabale, où jet set et mitan s’entrelacent, pour en reconstituer les mystères et les échos à travers le temps. Brunel déploie une écriture immersive qui donne vie aux personnages et à l’ambiance trouble de l’époque. Le narrateur, créé pour l’occasion, un jeune journaliste, suit les traces de Pierre Salberg, un reporter légendaire, qui s’échine à reconstituer les fils de l’intrigue. Dans les pas de Salberg, Brunel interroge la quête de vérité journalistique face à un univers corrompu par les faux-semblants médiatiques, les complots et les silences coupables. Le récit s’appuie sur une matière dense, riche en détails historiques.
« Rien n’a jamais été très clair. Markovic vivait chez les Delon, il était aussi l’amant de Nathalie et Delon n’aimait pas qu’on le double […] À la fin, Markovic les menaçait d’écrire un livre sur leur vie privée. Manifestement, on ne lui en a pas laissé le temps… », expose l’auteur. Cette trahison intime, additionnée aux tensions déjà existantes, aurait joué un rôle clé dans les événements tragiques qui ont suivi.
Pierre Salberg et sa voix grave, éraillée de fumeur, qui résonne en écho, incarnent le symbole d’un journalisme à l’ancienne, celui des plumes intransigeantes, des enquêtes minutieuses, des paquets de Gitanes qui trônent à quelques centimètres d’une machine à écrire. Salberg ne se contente pas de rapporter les faits : « il donne une voix à ceux qui en étaient privés » et parvient à capter l’essence même des situations, que ce soit avec ses intonations ou « sa façon de s’accouder au comptoir d’un café ». Ce fouineur hors pair symbolise une époque révolue, où « les ordinateurs dans leur écho minéral » n’avaient pas encore désarmé « le métier de ses orgues orchestrales ».
« Les souvenirs, une fois encore, remontent. Tu as peur, peur de comprendre que le meilleur est derrière toi, dans ces années fertiles d’apprentissage, de joie, de conquête, et tu redoutes que tout ce qui s’annonce ne soit que du copié-collé », se désole l’apprenti reporter.
Alain Delon, magnétique et provocateur, y apparaît sous un jour peu reluisant, tiraillé entre son statut de star et ses liens dangereux avec le milieu corse. Du showbiz parisien au cercle mafieux de la Côte d’Azur, Stefan Markovic est dépeint comme un homme séduisant mais manipulateur, partagé entre admiration et rancune envers son ami et patron. Autour d’eux gravite une galerie de personnages énigmatiques : des call-girls de luxe, des truands au code d’honneur ambigu, et même, comme trop souvent, des figures politiques compromises.
La décadence de la France glamour
Brunel peint un tableau sans concession de la France des années 60, où le faste du cinéma côtoie la noirceur du grand banditisme et les arcanes du pouvoir. L’affaire Markovic, avec ses ramifications qui touchent jusqu’à Georges Pompidou, alors Premier ministre démissionnaire et candidat aux présidentielles, devient le miroir d’une époque où les frontières entre la pègre et l’industrie du cinéma se brouillent funestement.
Le Cercle des obligés, c’est le cercle du monde de la nuit, des dettes, du chantage, c’est le cercle de ceux qui se tiennent par la barbichette, « des femme...