Quelques années après le succès de La Piste Pasolini, projet intime et quête initiatique dans le Frioul natal du poète-cinéaste, Pierre Adrian varie sur la même partition dans Hôtel Roma, où il nous fait cette fois-ci le récit de ses divagations dans le Turin de Cesare Pavese, poète italien de l’après-guerre dont le suicide, le 27 août 1950, aura suffi à écrire la légende.
Dans un livre mêlant la chronique autobiographique, l’enquête journalistique et le récit de voyage, Pierre Adrian retrace les derniers mois de celui qui aura nourri les pages du Métier jusqu’au gesteabsurde qui l’a réduit au silence. Pour sa trentième année, et tout juste sorti du confinement, Pierre Adrian échange donc la fièvre de l’engagement pasolinien de ses vingt ans contre l’ironie sourde et les élans de Pavese, parfois décrit comme un personnage affable, pétri de cynisme et d’amertume. Un changement de figure tutélaire, de « compagnon » de vie – comme il aime si bien le qualifier –qui relève la faiblesse de ce récit.
La grande résignation
Partant du suicide de Pavese, qui ne sera évoqué dans l’ensemble du récit qu’au détour d’un euphémisme souvent employé par Pavese, « le geste », ou « le geste absurde », Hôtel Roma est avant tout le récit d’une fin, qui ne finit jamais de commencer. Après un premier prologue à la troisième personne dans lequel on peut suivre l’itinéraire d’un chat, des couloirs du fameux Hôtel Roma jusqu’à la mythique chambre 49 où sera découvert le corps du poète italien, le récit se fait le luxe d’un second prologue, cette fois-ci du point de vue de l’auteur confiné à Dieppe. Ce second prologue reprend le même artifice : la désolation des rues désertées est simplement suggérée par un vol de goéland. Le redoublement des scènes laisse peu de place à l’équivoque : au suicide de Pavese vient se greffer la mort spirituelle de l’écrivain trentenaire, réduit à un désœuvrement partagé par le monde entier, et le retrait volontaire de l’écrivain italien se mire dans le confinement maudit de l’écrivain français.
Sorti du confinement, Pierre Adrian cherche à se replier. Il lui faut donc trouver l’auteur qui lui permettrait de nier l’appel du monde. Poète désengagé, désavouant toute issue politique jusque dans les dernières entrées de son journal, replié au sommet d’une montagne pendant la Seconde Guerre mondiale, et prônant une conception aristocratique de l’écriture, Pavese a tout de la figure idéale pour un trentenaire désenchanté ; et l’auteur en fait même l’aveu dès les premières pages de son récit :
« Cesare Pavese devint l’écrivain de mes trente ans sans doute parce que je ne cherchais plus de maître à penser mais seulement un ami pour me tenir compagnie. J’acceptais le monde, désormais, et avais renoncé à le transformer. »
Il aura donc fallu apprendre par cœur les poèmes de Pavese pour en arriver à ce lieu commun : l’âge adulte rend conservateur. Pasolini range les armes devant Pavese. La colère abdique devant la résignation.
Turin n’existe pas
Cette nouvelle piste sur les traces d’un poète italien répond donc à une ambition paradoxale : avoir enfin accès à l’inconnu qui lui fut refusé pendant ...