Qui n’a jamais rêvé de se pencher par-dessus l’épaule d’un·e écrivain·e ? De déchiffrer les mots invisibles sous ses biffures et de suivre du bout de l’ongle les contours de ses dessins griffonnés au coin d’une page ? Avec son nouveau recueil Pot Pourri, la « poétasse » préférée de toutes les jeunes autrices, Liliane Giraudon, nous autorise à lorgner sur les archives de son écriture. Autobiographie d’une travailleuse du texte, ce livre hybride dialogue avec le temps et les images qui le traversent.

Au creux de coupes en porcelaine ou sous l’écrin des éditions P.O.L, réaliser un pot-pourri est un geste poétique : il s’agit de mélanger ce qui reste, les résidus de fleurs, d’épices ou de phrases, que l’on a cueillis au gré de la vie et qui, asséchés par le temps, deviennent une nouvelle matière odorante. Une matière à écrire et à réarranger, comme un terreau de poèmes inédits. À coups de scans et de photographies, Liliane Giraudon mélange ainsi ses poèmes avortés à des travaux plus récents. Agencé en huit sections, Pot Pourri efface avec humour son trait d’union et nous invite à décomposer notre idée de la poésie, des formes qu’elle peut emprunter et de ses enjeux, toujours plus actuels.

Accouchement poétique : travail en cours
L’ouvrage s’ouvre sur le fac-similé d’un cahier d’école. Réhaussée du logo de la ville de Marseille, la couverture est d’un rose passé, vieilli par les années. Au crayon à papier, presque effacé, on distingue une temporalité : 1989 – 2011. L’intérieur nous dévoile des prises de notes d’un livre jamais écrit – ou plutôt jamais encore édité : « 99 poèmes publics » restés privés. En commençant par cette « fausse couche », l’ancienne professeuse de français révèle le travail invisible des gens qui manient la plume. Que faire des manqués, des idées qui n’ont pas pris, des phrases oubliées au fond du tiroir ? Écrire relève du palimpseste. Derrière un livre se dissimule l’ombre d’autres livres, en partie rédigés, corrigés et effacés.

« Tout le livre n’est qu’une liste de titres de poèmes tentant à écrire, ayant été en partie écrits puis détruits. »

Plus loin, on découvre son « scénario-fiction jamais tourné », nommé sobrement Les poètes sont des fils de putes et dont l’intrigue devait être tournée à proximité du CipM (Centre international de poésie Marseille), qui lui consacre par ailleurs en ce moment une exposition (madame himself & l’humour poétasse, visible jusqu’au 20 décembre). Avec la reproduction de ces carnets-brouillons, Liliane Giraudon restaure avec tendresse et, parfois, avec une pointe d’ironie les mots mis au pilon.

“Rétrospective linguistique ou plongée dans sa « mémoire traquenard », ce collage de mots se parcourt ou se picore, comme une invitation à lire (et à écrire) sans chronologie.”

Langue insomniaque
Muscle infatigable, la langue travaille. Sans horaire ni pointeuse. Dans la nuit, elle tourmente souvent les auteur·ices, en les faisant macher des mots inconnus et en les réveillant « en sursaut » sur une étymologie oubliée. Avec Pot Pourri, Liliane Giraudon nous livre un aperçu de ce qui la traverse ces « nuits où <elle> n’a pas pu dormir ». Spécialiste du cut-up, elle poursuit son entreprise de confusion entre titres et poèmes, en sélectionnant dans sa seconde partie 224 fragments. Reliées les unes aux autres, ces phrases numérotées ne semblent pas avoir grand-chose en commun, si ce n’est ce rapport à la nuit...