Son annonce tardive avait agité les cinéphiles : arrivé in extremis avec Résurrection, le retour du Chinois Bi Gan était particulièrement scruté, huit ans après son virtuose Un grand voyage vers la nuit. Longue traversée onirique, plastiquement sublime, le film apporte un peu de hauteur à la Compétition après plusieurs longs métrages prévisibles et facilement digestes (Fuori et The History of Sound en tête). Mais sans la renverser tout à fait.

« Est-ce que t’y comprends quelque chose ? » À voix basse, sur un ton rieur, mes voisines exorcisent les pensées d’une partie du public. Les presque trois heures du long-métrage sont ponctuées par un flot quasi-ininterrompu de départs, deux personnes ici, un trio par là, sans qu’il soit possible d’identifier concrètement quel moment les a poussés hors de la salle. Difficile de trouver un point de rupture précis dans ce film composé de six rêves successifs, aux esthétiques si éclatées que l’hétéroclisme devient la constante. Si les spectateurs sont partis, c’est soit d’une inadhésion immédiate (devant ce qui est pourtant une des plus belles ouvertures du festival), soit qu’ils étaient parvenus au bout de leur effort et, lassés de ne rien comprendre, de ne rien pouvoir attraper, ont décidé de sortir du rêve. 

“Ce que Calvino a dédié à la littérature, Bi Gan le transpose au cinéma : hommage au muet et à l’expressionnisme allemand, polar bleuté, lente méditation bouddhiste…”

Pour saisir la nature de Résurrection, il faut peut-être se tourner vers la littérature italienne : par ses esquisses et ses rêveries inachevées, le film de Bi Gan ressemble férocement au roman Si par une nuit d’hiver un voyageur… d’Italo Calvino. En faisant se succéder les incipit, commençant des histoires plus prometteuses les unes que les autres pour les abandonner au bout de quelques pages, le romancier démontrait à la fois ...