Comment enfermer dans une rétrospective une œuvre aussi riche que celle de Gerhard Richter ? N’appartenant à aucun courant particulier mais représentant à lui seul un panorama de l’art contemporain, dont il est aujourd’hui l’une des figures majeures. La production dense et variée d’un artiste sachant surprendre trouve certainement son inspiration dans une vie mouvementée. L’ensemble de son œuvre garde néanmoins une ligne directrice claire : la maintenir au rang de médium plastique contemporain.
Débutant sur la scène artistique en 1960 avec des oeuvres s’ancrant sans ambage dans l’hyperréalisme, Richter ne laissera jamais de côté la peinture. Ainsi, dans un monde où la photographie peut aisément remplacer la peinture figurative, il détourne cette évolution en se fondant lui même sur ses propres clichés pour les reproduire le plus fidèlement possible, instaurant une nouvelle relation entre peinture et photographie. Si l’on peut rester sans émotion face à ces toiles, où il faut l’avouer, l’expression des sujets est la plus souvent absente, l’effet de flou confère un mouvement et l’impression de vie.
Richter passe progressivement d’une peinture figurative exacerbée par l’hyperréalisme à une peinture abstraite. Encore une fois, la diversité caractérisant son œuvre est flagrante au sein de ce tournant abstractionniste : il alterne alors entre minutie et mouvement spontané. La minutie peut se manifester dans ses toiles abstraites composées comme un nuancier de peintre (« 1024 Farben N° 350-3 ») où la technique utilisée pour rendre compte de ces mille vingt-quatre couleurs de façon aussi précise est quasiment mathématique. La spontanéité, quant à elle, est perceptible dans la vivacité et la violence à travers lesquelles les couleurs sont posées sur la toile. Cependant, si le mouvement paraît spontané , Richter ne se cache pas de dire qu’il remanie ses tableaux, comme pour « Glenn ». Mais il serait exagéré de parler de mathématiques puisque selon l’artiste « les toiles abstraites mettent en évidence une méthode: ne pas avoir de sujet (une des caractéristiques fondamentales de l’abstraction), ne pas calculer, mais développer faire naître ».
On pourrait peut être résumer la démarche complexe de cet artiste ainsi : sa relation avec la peinture en est le fil directeur, sa volonté de conserver la peinture dans l’art actuel son motto. Laissant une place à la réinterprétation respectueuse des grands classiques de la peinture, il remet celle-ci au centre de l’art contemporain alors même que celui ci aurait tendance à la laisser de côté. Richter se considère lui même comme « (…) l’héritier d’une immense, fantastique et féconde culture de la peinture que nous avons perdue mais dont nous sommes redevables ». Pour cela, il fait encore une fois preuve de diversité : il reprend plusieurs classiques de la peinture, que ce soit par une reproduction ou une interprétation comme « Annonciation d’après Titien », ou Vermeer dans « Femme lisant une lettre devant une fenêtre ouverte ». De même il se lance dans une série de paysages rendant hommage à la peinture romantique allemande et à Poussin. Cependant Gerhard Richter prend le contre-pied de certains de ses prédécesseurs et plus particulièrement de Duchamp, que ce soit dans son tableau « Ema (nu sur un escalier) » où son hyperréalisme tranche avec le nu difficilement reconnaissable de « Nu descendant un escalier » de Duchamp, ou que ce soit dans leur vision de la peinture dans l’art contemporain puisque la sienne est profondément différente de la vision conceptuelle de Duchamp selon laquelle celle-ci ne serait plus un moyen d’expression artistique.
Si l’on sort de cette rétrospective optimiste sur l’avenir de la peinture, rien ne nous empêche de penser que Richter est, peut être, à la fois pionnier mais aussi l’un des derniers artistes utilisant ce médium dans l’art contemporain.
Cassandre Morelle