X et excès, sous la plume vénérienne de Rim Battal, installe une domination troublante. Nous sommes emportés, séquestrés et subordonnés à un regard despotique et conquérant  sur la sexualité contemporaine et son cheval pornographique. Entrer dans X et excès,  c’est infailliblement accepter un renversement, subir un regard qui dégouline de désirs multiformes – désir de corps et d’un certain féminisme, désir d’accouplement à l’ère  numérique, désir d’un partage, désir d’une maîtrise. Et si nous acceptons ces désirs sans  broncher, nous acceptons la passivité qui s’y soumet. Car ici, Battal s’est emparée du rôle  d’active. Elle a dévoré les pornos pour ensuite nous les étaler plein le corps. Et comme avec le  sexe filmé, une fois fini, on ne sait pas trop quoi en penser – balançant entre jouissance  perturbante, plaisir coupable et dégoût intrinsèque du trop-plein de cette découverte achevée, webcam cachée et sentiment qu’on y retournera pas de si tôt, qu’on passera vite à autre chose. Et pourtant, quelques images restent, quelques images collent. Le recueil a salivé sur nous. 

Il y a des tentatives littéraires qui laissent de marbre, d’autres qui chamboulent à tout jamais, et  certaines autres qui énervent jusqu’à bouillir de colère. X et excès est un mélange des trois. Mais un  mélange peut-être trop lubrifié. En sortant de la lecture, on ne peut être ni totalement indifférent, ni  totalement bouleversé, ni totalement irrité selon notre préférence personnelle. 

« Ceci est mon POV, rien n’est nié » Rim Battal est claire, précise, transparente, ce sera son point de vue. Mais il ne sera ni sexuel à proprement parler, ni philosophique, ni venu d’une expérience intime, non, il sera observateur. Mais l’observation n’est jamais une fin – il faut un partage, et ici : un recueil de poésies. Le kink du voyeurisme avec sa touche de littéraire. Ou le kink du littéraire avec sa  touche de voyeurisme ; les deux fonctionnent. 

Et pour le faire, Battal n’hésite pas à retranscrire ses états, ses réactions, ses émotions par la syntaxe. Du simple « (ahaha) » jusqu’aux plus impétueux, irascibles et féroces « une voix off ordonne : vas-y bourrine vas-y vas-y vas-y vas-y vas-y – ramène-là cette coupe du monde  putaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin » ou « acouphèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèène »,  elle n’hésite pas à provoquer nos sens par la résonance de nos lectures. Elle n’est pas là pour nous  cajoler et son observation sera brusque et tempétueuse. Battal sera là pour nous secouer. 

Or, nous secouant, sa poésie perd en contenance (et parfois en contenu). Et parfois même, Battal  aussi se perd. Elle se demande « Je ne sais pas pourquoi « je » « fais » « ça » » Car derrière le geste transgressif d’adapter en vers le regard d’une spectatrice de films pornographiques, un manque s’invite, s’immisce. Peut-être celui de l’amour ? Où est-il dans tout ça ? Ou peut-être celui de la  camaraderie, de l’entraide, de l’entente ? Le monde de la pornographie n’a que rarement ces parts –  difficile donc de l’imbiber dans la démarche. Mais « il faut bien tenir ensemble sur cette petite terre, ronde et menue – se partager la lune, communier » Et voilà qu’une approche d’un vivre ensemble  s’installe. Mais pour combien de temps ? Car tout ça, avant d’être quelques mots, n’est qu’un ordinateur. Et un ordinateur, c’est un écran, une distance, un filtre pénétrable mais impalpable dans son contenu. 

Ère numérique et Virginie Despentes 

Être une femme qui écrit sur le milieu de la  pornographie, dans l’état actuel de notre monde, ne saurait être autre chose qu’un  pervers tremplin pour fantasmeurs ubiquistes

« ENTRER », « PLAY » plusieurs fois Battal indique ses coups de clavier. La lecture de son recueil  se transforme en lecture de son écran. Et ses poésies en expériences de spectatrice. Puis les mondes  s’entremêlent et se confondent. « (j’obéis à l’ordinateur qui obéit à mon désir : – comme un chien je m’allonge sur le dos, j’accepte tous les cookies) » Qui sommes-nous en train de guetter ? Battal ou  une actrice ? Un jeu de rôle ? Le rapport de force s’étend et nous perdons le fil. Nous nous  observons en train d’observer les observations d’une observatrice. L’excès est là, mais il est classé X. 

« Kali étrangle Cristal dans une vidéo intitulée – losers eat pussy, soit – les perdants mangent la  chatte – dans la langue de Molière et de Battal » Cette cassure de quatrième mur – cette auto citation – a comme un goût de cynisme. Battal serait-elle en train de jouer de nous ? La volonté d’instaurer son monde littéraire, sa langue et sa lecture prend le dessus et redevient un nouveau va et-vient entre sexe et poésie, entre vidéo porno et recueil auto-fictif. Mais les émojis et les hashtags  nous ramènent vite à la réalité du texte : « jusqu’à ce qu’:o », « #sugardaddy #girlnextdoor –  #realamateur #deepthroat » Et le poème suivant saura nous ramener, lui aussi à son tour, à la  matérialité d’un écran numérique : 

« 23. 

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