Rose Tremain, autrice britannique de renom, s’est imposée comme une voix majeure de la littérature contemporaine grâce à ses romans qui analysent les situations et conditions humaines. Dans Absolument et pour toujours, elle s’aventure cette fois-ci dans l’examen de toutes les subtilités de l’amour obsessionnel et de la recherche de soi à travers ce dernier. L’histoire d’amour entre Simon et Marianne, vécue par cette dernière, est présentée comme passionnante et foisonnante, car s’y mêlent passion, dépendance et désillusion. Avec lyrisme et brutalité, l’autrice peint un amour qui dépasse le temps et les attentes, tout en traçant la toile de fond de la douloureuse condition humaine.
Il y a tant de façons d’aimer, et si peu de moyens pour le dire. Dans ce récit, loin d’être monolithique, l’amour prend des formes variées, presque mutantes, divaguant entre passion dévorante et affection silencieuse, entre amour obsessionnel et tendresse familiale. Cette multiplicité des visages est manifeste dans la relation qu’entretient Marianne avec ses parents, notamment lorsqu’elle constate, à la fin du récit, le dénuement social dans lequel ils vivent, ou encore dans son amour pour Simon, lorsqu’elle prend conscience de sa souffrance et de sa solitude, endurées en silence.
Dans ce récit, loin d’être monolithique, l’amour prend des formes variées, presque mutantes, divaguant entre passion dévorante et affection silencieuse
Simon lui-même incarne les possibilités plurielles de l’amour, car il écrit à Marianne : « J’ai parfois essayé de me persuader que l’amour que j’éprouve pour toi ne pourra pas durer parce que nous sommes tous deux si jeunes et avons si peu l’expérience du monde, mais j’en suis venu à espérer qu’il résistera et qu’à un moment à venir, nous serons ensemble. » Simon ne renie ni son amour pour Marianne, ni les souvenirs et moments partagés. Au contraire, il lui confie que son amour pour elle est profond et qu’ils pourront peut-être un jour se retrouver et reprendre le fil de leur jeunesse, de leur histoire abandonnée malgré eux.
L’obsessionnel et absolu amour
L’amour que ressent Marianne pour Simon est décrit dès les premières pages du roman comme une puissance surnaturelle, une obsession dissimulée derrière une apparence de normalité qui consume la jeune femme : « j’étais submergée par l’amour au point que mes cordes vocales me semblaient paralysées ». Elle poursuit : « j’aurais souhaité poser la question à Simon s’il ressentait la même sensation que moi – une sorte de panique générale, comme si notre expérience avait arrêté le temps ». L’amour fait suffoquer. Il dilue, dans un même mélange chimique, le temps et le corps qui finissent par se séparer. Plus vrai encore, l’expérience métaphysique de l’amour, dissociant le corps de l’espace, paralyse et rend l’être dépendant.
Cet amour devient claustrophobique, car il enferme Marianne dans l’asile « pour fous d’amour ». Selon sa mère, cet enfermement est une étape cruciale du développement amoureux, ce qui nous invite à nous interroger sur la normalisation de la souffrance amoureuse à l’adolescence : est-il normal que l’amour puisse conduire à un tel état de confinement qu’il soit comparable à un asile de tristesse, de regret et de désillusion combinés ? Le contraste entre l’amour et l’asile révèle le périple émotionnel auquel cet amour soumet Marianne – elle est soumise à la souffrance réelle, totale, dévorante : « J’étais prête à mourir, pourvu que nous puissions le faire ensemble, côté à côte. Je lui dis que tant que je vivrais, je l’aimerais...