Une disparition peut en cacher une autre. Dans Safari, le nouveau roman de Sabri Louatah, l’auteur poursuit son œuvre dystopique. Plus près de la réalité, et donc plus cruel, le romancier du thriller politique à succès LesSauvages nous emporte cette fois dans une fable où vie et mort se côtoient, un purgatoire, qui fait se réunir absences et apparitions, représentations et hallucinations. Qui est le narrateur ? De quoi a-t-il peur ?

Vous êtes-vous déjà retrouvé seul, au milieu de la jungle, au cœur d’un environnement hostile, totalement isolé, en proie au doute tandis que vous réfléchissiez à votre situation de proie ? Perdu dans la savane, l’Homme voit sa supériorité s’amenuiser face aux lions et autres carnivores aux gueules proéminentes. Pas besoin d’être en Afrique au cœur d’une steppe aride pour ressentir cette peur bleue ; la « serre tropicale de Lincoln Park, à Chicago », suffit amplement.
En effet, sans se trouver dans un vrai safari, le narrateur du nouveau roman de Sabri Louatah, dont on ne connaît pas le nom, est immergé au cœur d’une vaste course-poursuite. Une partie de « cache-cache » défile entre les pages. Sans arme ni coup de fusil, mais avec force et mélancolie, l’histoire débute dans l’un des grands espaces verts de la ville américaine de Chicago où l’on fait la connaissance de ce narrateur énigmatique tirant par la main son fils, Eliott.
Hanté par la disparition de son père, ce personnage sans nom est guidé par une seule et unique volonté : le retrouver. Il touche du doigt ce rêve en faisant la connaissance fortuite d’un homme, Gabriel, avec « exactement la voix de (son) père ». Le Safari géant débute alors et le lecteur plonge dans un clair-obscur, sorte de chassé-croisé entre la vie et la mort.
En Gabriel, le narrateur semble retrouver la figure paternelle disparue. Mais plus le récit avance, plus l’assurance du narrateur disparaît. Paradoxalement, à la recherche d’un être disparu, il se sent peu à peu poursuivi. Chasseur ou proie ? Les rôles ne sont pas figés ; la vie ne tient qu’à un fil.
Le narrateur tente de soigner le mal par le mal en se confrontant au chagrin des autres pour mieux dissiper le sien.
Comment reprendre contact avec une personne disparue ? Est-elle seulement vivante ? Alors que la famille du narrateur s’est, au fil de ces années d’attente, résolue à faire rimer disparition avec mort, l’énigmatique personnage de Sabri Louatah perçoit les choses autrement. Ce dernier n’accepte pas l’omerta et souhaite se confronter à ses peurs. Gabriel est-il l’émanation de cet enfer pavé de bonnes intentions ou préfigure-t-il le Message divin lui intimant de continuer sa quête ?
L’esprit embrumé, partiellement malvoyant ; aveuglé par ses songes, possédé par une vie intérieure et antérieure dévorante, le narrateur se convainc lui-même. Tel un nouveau prophète, il se sent même investi d’une mission : réhabiliter les morts parmi les vivants. L’attente, le purgatoire, ne sont que des étapes. La révélation se trouve au bout du tunnel.
Louatah lie alors la profession de son personnage à sa quête. Ce dernier devient plus qu’un banal romancier : ses écrits « safaris » comme il les appelle, se veulent être des récits de réenchantements. Le narrateur se fait « nécromancien », écrivain de la dernière heure, mage noir aux procédés incantatoires.
Des mots pour panser des maux
Le narrateur tente de soigner le mal par le mal en se confrontant au chagrin des autres pour mieux dissiper le sien. Mais le procédé ne fonctionne pas et très vite le piège se referme : « mes lecteurs et moi (avons) glissé dans une fai...