Sale temps pour les braves, premier roman de Don Carpenter, vient de paraître en collection 10/18. L’occasion de revenir sur l’âpre et flamboyant récit d’initiation de Jack Levitt, au travers de l’Amérique de l’après seconde guerre mondiale.
C’est en 1966 que paraît aux Etats-Unis le premier roman de Don Carpenter, Sale temps pour les braves (Hard Rain Falling), qui connait alors un fort retentissement, et installe d’emblée son auteur parmi les grands noms du paysage littéraire américain.
Proche à l’époque de la bouillonnante scène littéraire de San Francisco, et notamment du romancier et poète Richard Brautigan, Don Carpenter travaillera douze années durant en tant que scénariste pour Hollywood, et publiera une dizaine de romans et recueils de nouvelles, lesquels, malgré un fort succès critique, ne réitéreront jamais le succès public de Sale temps pour les braves.
Sombrant progressivement dans cette « zone grise de la notoriété qui n’est pas tout à fait l’oubli mais s’en approche » (Nathalie Crom, Télérama), et très affecté par le suicide de son ami Richard Brautigan, c’est en 1995 que Don Carpenter, gravement malade, décide de mettre également fin à ses jours.
On doit à la New York Review of Books d’avoir extirpé, il y a 3 ans, Don Carpenter des oubliettes de la littérature, en exhumant son chef-d’œuvre, Sale temps pour les braves, que les éditions Cambourakis ont publié en France l’année dernière, et qui vient de paraître en poche.
« Il y avait pire que d’être dans la dèche, mais là tout de suite, Jack Levitt ne voyait pas quoi. »
Sale temps pour les braves est avant tout un récit d’apprentissage, ample, puissant et terriblement mélancolique : celui de Jack Levitt, né avec la crise de 1929, colosse au sang bouillonnant, petit malfrat minable de 18 ans qui traîne ses pantalons rapiécés dans les quartiers mal famés de Portland, à regarder ses congénères taper la boule de au billard, à consommer des « hot-dogs-cafés », et à commettre quelques délits mineurs, en attendant que la fortune ne vienne frapper à sa porte.
Après quelques allers retours en prison, il rejoint l’univers carcéral pour plusieurs années suite à une fausse accusation de viol ; son compagnon de cellule n’est autre que Billy, une ancienne connaissance de Portland, génial joueur de billard, tchatcher flamboyant, et qui s’éprend profondément de Jack, avec lequel il vivra une aventure tragique et passionné.
Revenu de tout, à seulement 26 ans, et de nouveau libre, Jack, alors boulanger, décide de conjurer le mauvais sort au travers de l’aventure sentimentale et de la paternité. Mais le destin ne l’entend pas de cette oreille.
« La liberté, ce vieux rêve qui bouge »
Le thème central de Sale temps pour les braves est la liberté. Don Carpenter, à travers la déroute de Jack, nous narre l’odyssée d’un « brave » habité par une rage sourde envers une société qui, dans ses règles, ses barrières et son système pervers, ne laisse pas à sa liberté les moyens de s’exprimer et s’épanouir.
Sale temps pour les braves aurait ainsi pu s’intituler également Illusions perdues, et à ce sujet l’écrivain Richard Price a eu un joli mot : voilà un « roman de la période beat retraçant l’histoire de Garçons sauvages sans l’euphorie de Sur la route ».
Car Don Carpenter possède ce talent-là de nous conter l’histoire de ces vies en déglinguées que la solitude ronge, de nous faire partager l’histoire de ces paumés errants en quête de salut, à la manière peut-être d’un Hubert Selby dans Last exit to Brooklyn, mais avec infiniment plus de tendresse et d’empathie.
Jack et Billy sont ainsi des êtres qui vivent en marge, que le destin, le hasard, la société, ou un peu des trois, va progressivement broyer, mais que parfois, parfois seulement, l’amour, la « connexion » comme dit Billy, sauve du malheur et de la misère.
«Sale Temps pour les braves, c’est la littérature populaire à son meilleur»
L’écrivain Pelecanos l’a écrit, et il a bien raison : «Sale Temps pour les braves, c’est la littérature populaire à son meilleur». Et Don Carpenter, à travers le portrait d’existences solitaires et de personnages trop sincères avec eux-mêmes pour vivre en harmonie avec la société, et parce que la vie dans ce roman nous apparaît sous son angle le plus absurde, pose la seule question qui vaille le coup d’être posée : quel est son sens profond ?
- Sale temps pour les braves, Don Carpenter, traduit par Céline Leroy, 10/18, 432 p.21 mars 2013.