Zone Critique revient sur le neuvième roman de Salim Bachi, Un jeune homme en colère. Après son récit Dieu, Allah, moi et les autres, il signe un très beau roman qui explore la conscience d’un jeune homme errant dans les rues de Paris, en colère contre son époque et désespérément seul.
À la lecture du nouveau roman de Salim Bachi, Un jeune homme en colère, j’ai pensé :“On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
– On va sous les tilleuls verts de la promenade.” – Arthur Rimbaud – “Roman”,
mais le narrateur d’Un jeune homme en colère a dix-huit ans, permettez-moi cet écart car les vers de Rimbaud ont quelque peu résonné dans mon esprit. Cependant, il y aurait dans le neuvième roman de Salim Bachi beaucoup moins d’optimisme de la part du jeune homme, Tristan en proie à un sentiment de déréliction absolument ravageur. Salim Bachi, après son récit Dieu, Allah, moi et les autres, signe un très beau roman qui explore la conscience d’un jeune homme errant dans les rues de Paris, en colère contre son époque et désespérément seul.
“J’ai perdu mon Eurydice / Et rien n’égale mon malheur”
Un jeune homme en colère relate les doutes de Tristan dans les rues de Paris quelques mois après les attentats du Bataclan. Il se dresse contre ses parents, ses études, la société qu’il exècre et dont il souligne, avec le langage propre à un jeune homme désabusé, la bêtise. Son père est un écrivain célèbre, mondain, coureur de jupons ; il habite sur la butte Montmartre et est souvent qualifié de “vieux con”. Sa mère, elle, vit avenue du Maine et préfère que son fils reste chez son père pour que ce dernier prenne ses responsabilités. Le roman couvre une journée, Tristan est laissé seul par son père parti à Los Angeles. De fait, il erre, ou plutôt il traîne et enrage. C’est le désespoir qui ronge Tristan qui ponctue sans cesse son récit de : “Depuis la mort d’Eurydice…” Tristan ne parvient pas à surmonter le deuil de sa sœur et cette phrase se laisse entendre comme une litanie funèbre, un vain chant d’Orphée qui ne parviendra, bien sûr, pas à retrouver Eurydice. Ainsi, tout l’emmerde : sa copine, Laetitia, qui le largue, ses anciens amis de Khâgne qui l’ont abandonné, son amie Audrey, ses parents, la copine de son père… Tristan est seul.
Le récit alterne entre les souvenirs et les considérations sur le présent, marquant l’avant et l’après, la rêverie et la réalité. Eurydice, tout lui renvoie l’image d’Eurydice : une mélodie, une rue, un lieu… et Tristan marche, à l’instar du héros de Salinger dans L’Attrape-cœur, sans but et descend plus profondément dans les enfers constitués de cauchemars et d’illusions perdues. En ce sens, le roman est tout à fait mélancolique, mais il n’est pas dénué de légèreté. Les attentats du 13 novembre ne sont jamais racontés explicitement, ils ne sont jamais un prétexte et Un jeune homme en colère est davantage un roman sur le deuil et l’équilibre entre pulsion de vie et pulsion de mort qu’un roman sur les attentats du Bataclan qui, en toile de fond, dessine un contexte et une atmosphère.
L’écriture de Salim Bachi ne tombe pas dans le misérabilisme, dans le pathétique. Le langage du jeune homme permet une distance avec ce qui est raconté, quelques traits d’humour bienvenus et un regard acerbe, volontiers provocateur, génial sur le monde.
“Les jours s’en vont, je demeure”
La mort, comme une béance au cœur de Tristan, transforme le monde. Elle en montre toutes les horreurs, l’hypocrisie et toutes ses choses absurdes qui constituent la société. Tristan se révolte, mais c’est une révolte intérieure, il est ce que l’on appelle un désabusé et ainsi le jeune homme devient une sorte de créature cynique qui ne prend plus rien aux sérieux, pas même la littérature qui ne parvient plus à consoler Tristan. Et si rien ne parvient à le consoler, alors Tristan ne croit plus et ne veut plus croire, en rien et devient un damné.
Les moments d’échappatoires sont ceux du rêve et du souvenir mélancolique qui lui permet de s’affranchir du désagréable du réel et surtout du présent. Ces plaisirs de courtes durées sont comme des moments de grâce pour le jeune Tristan qui, seul et passif, ne peut trouver qu’un refuge en lui-même. Lorsqu’il revient au réel, son regard est celui de quelqu’un qui ne se comprend pas dans la société. Provocateur, caricatural, Tristan métamorphose le monde, le méprise, l’insulte et ainsi le condamne.
Seul contre tous, Tristan demeure. Il est là, plongé dans son désespoir, livrant à son lecteur son portrait de la société telle qu’il la voit et la ressent : malade. Et rien n’y fait, pas même les hôpitaux. Le nouveau roman de Salim Bachi est touchant et plein de force car il explore les variations des sentiments d’un jeune homme perdu et qui ne comprend pas. Le personnage de Tristan nous fait penser, dans un premier temps, à tous ces héros romantiques qui vagabondent. Néanmoins, Tristan est à part, car il n’est plus pétri d’illusions. Il n’est pas l’optimiste personnage qui espère révolutionner la société, il est celui qui la subit sans broncher, révélant encore mieux les écueils.
- Un jeune homme en colère, Salim Bachi, Gallimard, Blanche, Février 2018, 18 euros.