Adieu Tanger, le premier roman de Salma El Moumni, n’est pas un carnet d’exil ordinaire : on ne lit ni une échappée, ni un retour au bercail, ni une nostalgie exotique. Une cavale sans héroïsme mais non sans courage qui remporte le Prix des étudiants France Culture-Télérama 2023.

Premier roman de Salma El Moumni, Adieu Tanger retranscrit le fil des pensées d’Alia, jeune adulte tangéroise qui a déménagé à Lyon pour fuir l’oppression patriarcale de sa ville natale et tenter d’oublier le traumatisme du viol. Aux prises avec ses doutes et sa solitude, Alia est sur le point de quitter sa vie lyonnaise : ce ne sont donc jamais vraiment les lieux que l’on fuit.

Un corps à soi

« Ta vie a été rythmée par la honte de montrer et d’être vue. » D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Alia a dompté sa féminité, vice contracté à la naissance, par le regard : tantôt en la cachant des voyeurs sous des vêtements amples et des attitudes dites « masculines », tantôt en la dévoilant pour ses seuls yeux au travers de son appareil photo. Mais ses tentatives pour apprivoiser sa propre chair, qu’on culpabilise et humilie, ne font qu’accroître son mal-être, jusqu’à vouloir s’oublier dans la saillance des côtes et la maigreur des poignets. Le « trop-plein » qu’Alia ressent touche au malaise à la fois existentiel et sensoriel d’une jeune femme qui ne s’aime pas. 

De Tanger à Lyon, la protagoniste quitte la violence pour en subir une autre, ordinaire : « ton visage parle pour toi ». Outre les délits de faciès et mille autres raccourcis – autant d’épreuves qui nous semblent insignifiantes tant qu’on ne les a pas vécues – Alia se trouve désincarnée : là où elle n’était réduite qu’à son corps, ici elle n’est « plus qu’un prénom, (…) qu’une silhouette éphémère ». C’est qu’à défaut de changer de peau, elle a seulement changé de société du regard : là-bas le voyeurisme, ici l’invisibilisation.

Qui croit se laisser porter par la douceur des souvenirs se fait alors rattraper par la douleur du corps qui les a vécus : les lèvres gercées par le sel des pipas grignotés à la sortie des cours, les mains moites, les irritations partout et les ongles rongés… Des sensations qu’on n’écrivait pas jusque-là imprègnent le récit, comme pour prévenir de tout orientalisme sublimant l’enfance dans un...