Avec Sans Tambour, Samuel Achache, accompagné de Florent Hubert à la direction musicale, d’Antonin-Tri Hoang et d’Eve Risser, explore à travers une partition musicale et corporelle tirée d’arrangements collectifs de certains Lieder de Schumann, où sons, corps et gestes se répondent, ce qui nous habite, ce qui demeure et ce qui s’effondre, en nous ou autour de nous, dans la peine d’amour. Donné aux Bouffes du Nord du 25 février au 9 mars 2025, Sans Tambour est une méditation musicale et poétique sur ce qui advient quand la flamme s’éteint, quand une relation s’effrite et s’use jusqu’à se renverser, jusqu’à se déverser dans le monde, enfoui et subjectif, du souvenir et de la mémoire. 

Au plateau, la scénographie de Lisa Navarro propose une maison grandeur nature aux murs décrépis, en partie masquée par des bâches et dont on distingue la charpente par des poutres et un châssis visible. Après un prologue comico-mélancolique porté par Léo-Antonin Lutinier et Agathe Peyrat au chant et qui vient inaugurer le thème de l’accident et, avec lui, celui corolaire du temps qui passe (par le tourne-disques fatigué et capricieux que le comédien mime d’actionner, par le grésillement du disque qu’interprètent en direct les musiciens et la chanteuse au plateau), un couple, campé par Laurent Ménoret en jogging Adidas d’un autre temps et Sarah Le Picard, vêtue d’une chemise à carreaux vintage, apparaît au plateau derrière les premiers murs fracassés. L’homme porte des gants en caoutchouc rose et fait frénétiquement la vaisselle, pris dans cette routine quotidienne qu’il a épousée avec les années de vie commune mais que la femme, elle, peine à supporter encore. « J’en peux plus » lance alors la comédienne Sarah Le Picard, face à l’air hébété de celui qui ne comprend pas, de celui qui est surpris par le désamour qu’il n’a pas vu (ou voulu voir) venir, de celui qui a sans doute confondu l’équilibre domestique et la routine quotidienne du couple avec la pérennité du sentiment amoureux. A la fin du premier tableau, les masques de l’amour et de l’équilibre tombent, laissant la place à la séparation et à la rupture, comme ces murs que les deux anciens amoureux font exploser au plateau, semblant vouloir réduire en poussière leurs sentiments passés. 

Accueillir et déconstruire le fantasme de l’amour éternel

Sans attendre donc, il est question de morceaux, de résidus, de fragments et de fragmentaire, une notion chère au romantisme allemand mis à l’honneur dans le spectacle par Schumann et ses Lieder qui servent de squelette et de charpente à déconstruire et à réagencer dans les différents tableaux qui constituent la pièce. Comme le suppose même le titre du spectacle, Sans tambour, qui vient sciemment éluder la seconde partie de l’expression « Sans tambour ni trompette » qui désigne ce qui arrive sans se faire remarquer et dans le plus grand des secrets, la peine d’amour suppose le vide et l’absence soudains. La maison que toutes et tous au plateau participent à démolir jusqu’à venir en emporter les gravats dans les coulisses dit, concrètement et métaphoriquement, la sensation d’effondrement de celle ou de celui qui perd un amour. Cette maison est une clef de voûte du spectacle comme de l’imaginaire de Samuel Achache. Dès 2017, le collectif La vie brève, emmené par le duo qu’il compose avec Jeanne Candel, montait La Chute de la maison, un spectacle directement inspiré de la longue nouvelle d’Edgar Allan Poe, La Chute de la Maison Usher – là déjà un titre tronqué et lacunaire. Le collectif inaugurait alors ses variations sur le thème de la maison et de l’habiter, approfondi dans Sans Tambour où il s’agit de redonner à ces deux verbes, « habiter » et « résider », toute leur puissance sémantique : celle de ce qui demeure, faisant de la maison et de l’habiter, comme chez Heidegger, cet espace qu’on investit pour y rester, ce lieu qu’on acquiert et qu’on conquiert pour soi et pour tous ceux qui fondent alors ce qu’on avait pour habitude autrefois d’appeler la maisonnée (comme dans la « Maison Usher » de la nouvelle de Poe d’ailleurs). 

“Dans le spectacle, la matérialité toute concrète de l’amour contrevient à cet idéal évanescent de l’amour romantique, celui qu’on veut croire éternel.”

Ainsi, dans la maison qui s’effondre se lit aussi la déconstruction de l’imaginaire rom...