Dix ans après l’attentat de Charlie Hebdo, Sarah Barukh signe avec De bleu, de blanc, de rouge et d’étoiles un récit polyphonique bouleversant, qui explore les fractures du monde contemporain à travers des trajectoires entremêlées. Entre mémoire, exil, oppression et espoir, l’autrice tisse une fresque humaine intense, portée par une écriture sensible et engagée. Un livre nécessaire, lucide et profondément émouvant.

Dix ans après l’attentat contre Charlie Hebdo, ce roman choral s’inscrit dans une époque secouée par les violences identitaires, les dérives religieuses et les régimes autoritaires. Mais là où d’autres sombreraient dans le constat froid ou le didactisme, Barukh choisit la chaleur des destins individuels, la puissance de l’émotion et l’empathie comme outils littéraires.

Le point de départ est précis : le 7 janvier 2015. L’annonce de l’attentat provoque chez Jeanne, psychiatre de quarante ans dans le Val-de-Marne, un séisme intérieur. Juive, française, fille d’un père rescapé du quartier populaire parisien où elle a grandi, Jeanne sent les réminiscences d’un passé qu’elle croyait dépassé : le conflit israélo-palestinien, la guerre du Liban, l’ombre de l’antisémitisme. Ce choc va la pousser à reconsidérer son histoire personnelle, à quitter un temps la France pour Israël, puis à revenir à Paris, où elle retombera amoureuse d’un homme musulman. Le roman pourrait s’arrêter là, mais il prend un virage puissant et inattendu : celui de la polyphonie et du questionnement.

Des voix multiples, unies par une humanité blessée

Ce qui rend ce livre si marquant, c’est la diversité des voix qui le composent. Sarah Barukh nous entraîne, sans transition brutale, dans les existences de quatre autres personnages, tous à des milliers de kilomètres les uns des autres, et pourtant liés.

Il y a Rima, adolescente pakistanaise, la seule fille de sa fratrie autorisée à travailler à l’usine textile de Peshawar. Sa liberté, si ténue soit-elle, s’évanouit le jour où son père lui impose un mariage forcé. À 14 ans, Rima incarne la voix des femmes opprimées, mutilées symboliquement et physiquement par un patriarcat ancestral, renforcé par la misère et l’ignorance.

“Entre mémoire, exil, oppression et espoir, l’autrice tisse une fresque humaine intense, portée par une écriture sensible et engagée.”

Puis Isaias, jeune Érythréen de 20 ans, qui tente de survivre sur les routes de l’exil. Il a dû abandonner sa mère, incapable de marcher, pour chercher une vie meilleure en Europe. Dans sa trajectoire sinueuse et douloureuse, le lecteur perçoit les silences des politiques migratoires, les non-dits des discours sur l’accueil, la brutalité des réalités géopolitiques.

Et encore Jin, trentenaire Chinois, marin au long cours, qui transporte des cargaisons dont il ne veut rien savoir. Tout ce qu’il souhaite, c’est gagner assez pour enterrer en paix sa petite sœur, morte à cause de la politique de l’enfant unique. Jin symbol...