Le 14 juillet dernier, Louis Calaferte aurait eu 85 ans. Ce nouvel article en provenance de notre partenaire, le magazine La cause littéraire, nous offre de replonger dans la vie et l’oeuvre de l’auteur culte de Septentrion.
« Au commencement était le Sexe.
Sauveur. Chargé d’immoralité. Il y a la Bête. Héroïque. Puissante. Et au-delà de la Bête il n’y a rien. Rien sinon Dieu lui-même. Magnifique et pesant. Avec son œil de glace. Rond. Statique. Démesurément profond. Fixe jusqu’à l’hypnose. Tragique regard d’oiseau. Allumé et cruel. Impénétrable de détachement. Rivé sur l’infini d’où tout arrive ».
Une gifle littéraire
La première fois que j’ai ouvert Septentrion, j’ai reçu une gifle littéraire. Jamais des mots n’étaient entrés en moi avec autant de puissance et de signification. Septentrion est un livre fort, percutant. Septentrion est le livre de la Vie, dans sa plus déchirante et complexe réalité. Septentrion est rédigé dans la soie de la passion brûlante, finement brodé autour d’une cuisse charnue. Septentrion c’est la luxure verbale. Dès l’incipit, Louis Calaferte pose les jalons d’une œuvre fleuve qui semble écrite d’une traite, et où le personnage principal est trimballé au gré de ses pulsions, malmené par sa propre rage intérieure. Le sexe, la religion, la mort. Triptyque de l’existence. Retour à l’essentiel, à l’Homme, et dans une langue parfaitement ficelée, convergeant vers cette idée que l’on peut se faire du Style avec un grand S.
Une gifle littéraire, parce que d’autre part, le nom de Louis Calaferte semble oublié de nos manuels scolaires et des grandes lignes de notre histoire littéraire. Pour quelle raison ? Est-ce à cause de la censure dont a été victime ce grand ouvrage qu’est Septentrion en 1963, parce qu’un conglomérat de prête-noms gouvernementaux-littéraires ne s’était arrêté qu’aux mots foutre, bite ou salope, qualifiant ce bijou romanesque d’objet pornographique ? Impensable en pleine période de libération des mœurs, et pourtant il faudra attendre plus de vingt ans avant que Denöel ne le réédite.
Le nom de Louis Calaferte semble oublié de nos manuels scolaires et des grandes lignes de notre histoire littéraire
Mais même aujourd’hui, on ne peut pas dire que Calaferte remplisse les FNAC. Au contraire, il fait partie de ces auteurs underground, dont les titres des œuvres ne survivent que grâce au murmure des rumeurs.
Mais pour connaître Calaferte, il faut cependant aller plus loin que Septentrion et les jupons de Mlle Van Hoecke. Il faut aller à l’origine, à son enfance dans les quartiers Lyonnais. La zone. Il faut lire Requiem pour des innocents si on veut savoir où est née cette rage intérieure et ce besoin compulsif de l’écriture. Dans ce roman, Louis Calaferte y raconte ses jeunes années parmi les fils du bas peuple qui mangent la poussière, « un repaire de repris de justice, de bohémiens, et d’assassins en puissance ». Le sordide, et les laissés pour compte : « Nés au cœur de cette fournaise, nous étions, dès les premiers mois, dépositaires de ses excès et de sa constante fureur. Au surplus nous restions ignorants du monde extérieur et de ses mœurs ».
Ici naîtra son sentiment d’abandon de Dieu, qu’il cherchera pourtant toute sa vie. Cette quête perpétuelle semble d’ailleurs être le point de chute de Septentrion, qui s’assimile davantage à un cri de désespoir, un appel à Dieu de la plus crue des manières, comme un enfant qui réclamerait l’attention de son Saint-Père et qui n’aurait que cela pour se faire entendre : « que votre règne arrive, Nora la vampiromane, que votre volonté soit faite, donnez-nous notre pain de chaque jour, notre nausée de chaque jour, notre argent, notre sexe, notre crapulerie quotidienne, pardonnez-nous nos meurtres inavoués comme nous nous les pardonnons si facilement à nous-mêmes, ne semez pas la tentation sous nos pas, délivrez-nous de cette hantise de mal vivre le peu que nous avons à vivre, et allons-y gaiement, sortons les masques, chaque lendemain ramène le Mardi gras du Carnaval d’épouvante ».
Rosa Mystica
Pour répondre à la fureur d’un Septentrion ou d’un Requiem des innocents, il y a Rosa Mystica, livre tout en pudeur où Louis Calaferte distille ses pensées, se retourne sur sa vie, et se questionne à propos de la mort et de l’éternité. Rosa Mystica est à mi-chemin entre l’art poétique et l’essai philosophique. C’est le retour aux choses, à la beauté pure et naturelle, mais si éphémère. La contemplation de la candeur à travers le personnage de sa filleule qui vient passer des vacances dans sa maison, avec ce jardin bucolique qu’il dépeint d’un trait de pinceau fin, sensible, et précis : « ce ne sont pas les lieux qui nous appartiennent, mais à l’inverse : nous appartenons aux lieux ». L’érotisme y est plus sobre, purement esthétique, dévoilé sous les aspects de la suggestion. Et puis il y a Dieu, encore et toujours, au centre de ses obsessions, parce que Dieu, c’est à la fois la mort et l’éternité, le repli sur soi et la beauté. Et Louis Calaferte se confesse, à la troisième personne : « Il ne sait pas prier : seulement parler à Dieu, qui est la dernière idée qu’il puisse aimer encore ».
Sa religion, ce sera l’écriture : « ce que je crois volontiers, par contre, c’est que si j’écris un jour, ce sera comme un feu d’artifice tiré en même temps des cinq continents ». Les feux sont tirés, mais ce qui est dommage, c’est qu’ils fassent si peu de bruit, et qu’il y ait si peu d’yeux pour les contempler. Levons la tête, amis littéraires, Louis Calaferte aurait eu 85 ans.
Benjamin Cerulli