L’artiste Sergey Kononov présente sa sixième exposition à la galerie Lazarew à Paris. Un ensemble de tableaux avec lequel il explore la notion de corps et de figures en dressant le portrait d’une jeunesse exaltée, la sienne. Entretien.
Jean-Baptiste Gauvin : L’exposition s’intitule « Pas tout-à-fait ici » / « Not quite here ». Pourquoi ce titre ?
Sergey Kononov : Je dois avouer que je ne suis pas très compétent pour choisir un bon titre. Souvent, je me contente de mettre « sans titre » à mes œuvres, mais cela peut tout de même m’arriver d’avoir une idée, une révélation. Je demande aussi parfois à des amis de me souffler quelque chose, un mot, une phrase, qui peut résonner avec ce que je vais présenter. Cette fois, j’ai eu l’aide de ma galeriste, Laura de Pontcharra. Nous avons simplement essayé de voir ce qui pouvait résonner le mieux avec les peintures que je montre. J’ai l’impression que « Pas tout-à-fait ici » marche bien avec ce que je propose. Nous avons des figures variées de personnes qui sont un peu comme à la frontière entre différents mondes. Des moments où ils perdent un peu la sensation de la réalité. Sur l’une des toiles, il y a un personnage qui se fait tatouer par exemple. C’est un moment où tu es séparé de ce qu’il se passe autour de toi. Tu es dans ta réalité.
J-B G : Dans les tableaux qui sont présentés, vous vous appliquez à faire le portrait de jeunes personnes, souvent dans des moments d’intimité, parfois nues ou à demi nues, enlacées ou endormies… Pourquoi ce motif est-il particulièrement présent dans votre peinture ? Pourquoi vous intéresse-t-il ?
SK : Bonne question… C’est quelque chose de très complexe. Il y a plusieurs facteurs. En général, ce sont des amis qui sont représentés sur mes tableaux. Je cherche à rendre compte de leur très belle énergie et de leur singularité. Quand je les peins, ils sont souvent enthousiastes. Ils me disent : « Fais ce que tu as envie de faire ». Et puis, pour les artistes qui font de la peinture figurative, le nu c’est très intéressant. Quand j’étais adolescent, en Ukraine, à Odessa où j’ai grandi, j’ai pu suivre des cours particuliers de peinture. J’avais alors douze ans et j’ai demandé à mon professeur ce qu’il y avait de plus difficile à peindre. Il m’a répondu : « les humains c’est le plus difficile. Le portrait. » Peut-être que cela m’a influencé. C’est vrai que le corps, le visage, la peau, c’est le plus intéressant et le plus difficile. Longtemps j’ai fait des natures mortes et des paysages avant d’oser faire des portraits et des compositions avec des personnages.
J-B G : La jeunesse a-t-elle quelque chose de mélancolique en ce monde selon vous… ? On a le sentiment, devant votre œuvre, que ce sont parfois des personnes en souffrance, qui vivent des situations difficiles, qui rencontrent des épreuves… La difficulté de porter son corps ? La question d’être bien dans sa peau ? La vulnérabilité humaine ?
Or, chez Botticelli, j’ai vu une transparence… Je me suis dit que j’avais envie de faire pareil.
SK : Je pense à Frida Kahlo qui avait une fixation sur sa souffrance. Pas chez moi. Je n’ai pas l’obsession d’exprimer ce qu’il se passe en moi. Ce que je cherche d’abord dans la peinture, c’est la dimension pratique. Comment certaines couleurs marchent avec d’autres… Qu’est-ce que je dois utiliser… C’est cela qui m’intéresse d’abord. Après, mettre le corps et la figure au premier plan, ça m’est venu quand je suis allé à Florence en Italie avec mon atelier de l’école des Beaux-Arts au moment où j’étais étudiant. Nous avons fait un voyage de dix jours. Nous avons visité toutes les églises, le musée des Offices et j’ai pu voir certaines toiles de Botticelli. C’était vraiment les corps les plus sublimes j’ai trouvé… Si justes… Si transparents… J’y ai vu une certaine luminosité. Il faut dire que la peinture à l’huile, ce n’est pas de l’aquarelle, elle a une pâte. Tout est plus gras que ce que l’œil voit en vrai. Or, chez Botticelli, j’ai vu une transparence… Je me suis dit que j’avais envie de faire pareil. Je suis revenu plusieurs fois au musée des Offices pour voir comment Botticelli avait travaillé la texture d’un visage… Il a utilisé des couleurs qu’il a réussi à croiser, à superposer. Quand on regarde la peau, par exemple, on voit du jaune et le violet du sang. Le jaune et le violet sont des couleurs opposées qui fonctionnent bien ensemble. Je me suis mis à faire cette recherche sur la couleur. J’ai essayé de trouver la même luminosité. C’est aussi une recherche de la légèreté. Ça m’a pris plusieurs années.
J-B G : Oui, votre peinture a évolué depuis votre première exposition à la galerie Lazarew. Avant, vous aviez développé une technique particulière où vous vous appliquiez à créer un certain flou autour des visages que vous peigniez, aujourd’hui votre peinture se veut beaucoup plus nette, avec parfois des personnages sur un fond simple, comme mis en exergue par la seule peinture et le dessin. Pourquoi cette évolution ? C’est important d’être ouvert au renouvellement de sa propre peinture quand on peint ?
je serai heureux si des gens admirent plus tard quelques tableaux que j’ai faits dans ma vie. Si ça leur donne un peu le plaisir de vivre, alors c’est réussi.
SK : Je crois que oui, bien sûr. Le professeur qui m’a influencé dans mon adolescence m’a dit un jour : « C’est assez nul quand un artiste a trouvé son style et que tu viens à sa prochaine exposition en te disant que tu sais déjà ce qu’il va y avoir. C’est inintéressant. » J’ai toujours pensé à cette phrase. Je trouve que c’est très ennuyeux de répéter la même chose. Ce qui est intéressant, c’est le défi, c’est le renouvellement. Physiquement même, tu as besoin de respirer avec quelque chose de nouveau. Par ailleurs, passer sa vie à faire de la peinture c’est un immense privilège. Je n’y vois pas particulièrement de rôle, mais je serai heureux si des gens admirent plus tard quelques tableaux que j’ai faits dans ma vie. Si ça leur donne un peu le plaisir de vivre, alors c’est réussi.
J-B G : Quelles sont vos principales influences ? Qu’aimez-vous dans la peinture des autres ?
SK : L’artiste que j’aime le plus est le peintre américain Andrew Wyeth. J’ai vu ses travaux quand j’avais douze ou treize ans… Je me suis dit : « Quel monde ! » Ça influe sur l’état émotionnel. Il y a aussi une certaine tristesse de l’existence… C’est un peintre que j’ai vraiment rencontré. Il était sur mon chemin. Je l’ai toujours aimé et je ne l’ai jamais mis de côté. J’ai toujours quelque chose à apprendre de lui. Il a produit énormément de tableaux et même quand il était déjà très âgé, quand il avait plus de 80 ans, il travaillait avec la même dextérité que quand il était jeune. Ça rend optimiste !
- Sergey Kononov, propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin, “Not quite here / Pas tout-à-fait ici”, 18 novembre – 23 décembre 2023, Galerie Lazarew , 14 Rue du Perche, 75003 Paris
Illustration : Sergey Kononov, The two of us, huile sur toile, 60 x 60