Après La Femme de mon frère (2019) et Babysitter (2022), la réalisatrice canadienne Monia Chokri étudie en sociologue les rouages d’une passion entre une professeure de philosophie et un charpentier. Elle signe là un film plein d’humour, d’énergie et d’idées mais qui demeure quelque peu conventionnel.
Tout commence comme une comédie romantique à l’américaine : un homme et une femme se rencontrent dans un chalet. Ce n’est pas le coup de foudre, mais presque. Lui est charpentier – plutôt manuel donc –, elle, professeure de philosophie – plutôt cérébrale. Ils se rencontrent, discutent dans un bar désaffecté, se plaisent. Pour ne rien gâcher, la pluie les surprend alors qu’ils sortent du restaurant. Un zoom capture leur baiser et achève de faire de leur amour un parfait cliché cinématographique. C’est donc le début d’une folle passion entre Sophia (Magalie Lépine Blondeau) et Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), malgré sa clandestinité – Sophia est en couple depuis dix ans avec un intellectuel, Xavier (Francis-William Rhéaume). Comme dans West Side Story ou la plupart des romances américaines, les contraires sont un instant réunis et l’amour semble pouvoir combler tous les vides. Mais on comprend rapidement que cette idylle ne peut pas durer.
La comédie romantique annoncée prend un tournant mélancolique voire amer.
En effet, cette bulle d’amour et de désir éclate au contact de leurs mondes respectifs. Après l’officialisation de leur relation, la réalisatrice filme les passages obligés de la vie conjugale : on rencontre par exemple les familles des protagonistes et leurs amis. En émule de Sartre, Monia Chokri semble suggérer que l’enfer, c’est bien le reflet que les autres nous renvoient de nous-même. Dès lors, elle prend un certain plaisir à filmer ses personnages dans des miroirs qui semblent les emprisonner. C’est le regard d’autrui qui ramène Sophia et Sylvain à leurs différences et creuse peu à peu un fossé entre eux. Ce n’est que dans la solitude qu’ils sont heureux, comme en témoigne la scène où, après une fête bien arrosée avec la famille de Sylvain, le couple, seul, continue à danser dans la salle vide, sourire aux lèvres et paupières closes. Ce moment de tendresse contraste avec la progressive débâcle de leur couple, rattrapé par le rapport de domination qui caractérise leurs classes sociales respectives. Comme un des derniers plans du film le suggère – des poissons sont filmés dans leur bocal – les personnages sont enfermés dans un monde qu’ils ne peuvent pas quitter. La comédie romantique annoncée prend un tournant mélancolique voire amer. Peut-on s’aimer durablement malgré nos différences ? Pas si sûr.
Fragment d’un discours amoureux
Le film s’ouvre sur une conversation de fin de soirée entre les amis de Sophia. L’amour, affirme un personnage, serait l’ultime valeur universelle – première affirmation ironique que la réalisatrice s’efforcera de contredire. Cette interrogation philosophique initiale sur les valeurs et la portée de l’amour se déploie dans le reste du film : de façon un peu didactique, chaque partie de Simple comme Sylvain est introduite par quelques phrases qui synthétisent les pensées de philosophes et qui annoncent l’action à venir. Quelle est donc “la nature de l’amour”, pour reprendre les termes du titre anglais (The Nature of love) ? Comment comprendre cette articulation entre le désir et l’amour : faut-il s’inspirer de Spinoza ? De Platon ? De Schopenhauer ? Plus que cela, semble se demander Sophia : où se trouve l’amour ? Dans les parenthèses passionnées qu’elle vit avec Sylvain ou dans le train-train quotidien avec Xavier ? En sociologue, Monia Chokri dissèque le couple hétérosexuel et le système qu’il structure. Elle met en regard deux modèles de l’amour : celui incarné par la relation de Sophia avec son conjoint Xavier et celui représenté par l’histoire ardente entre Sophia et son nouvel amant.
Néanmoins, en mettant en scène ces deux modèles amoureux, Monia Chokri oppose aussi deux modèles d’homme. Ce faisant, elle ne se défait pas de certains poncifs : il y aurait d’un côté Sylvain, l’homme viril, qui aime la chasse et la montagne et qui incarne forcément l’amant torride et merveilleux. De l’autre, il y aurait Xavier, l’intellectuel, forcément moins passionnant, moins passionné – ennuyeux, en somme, qui prend plus de plaisir à faire le top 10 de ses dictateurs préférés qu’à être un amant assidu. La réalisatrice reproduit d’ailleurs ce schéma binaire puisque l’amie de Sophia, Catherine, bien inspirée par la liaison de sa meilleure amie, décide également de prendre pour amant son professeur de natation, Coach Akim, un homme issu d’une classe sociale moins élevée que la sienne et donc forcément plus “simple”. Si la réalisatrice casse donc un peu les codes des assignations de genre en proposant de mettre au centre de son film l’infidélité, la liberté et les désirs d’une femme, elle ressasse sans grande subtilité certains clichés sur le modèle sexuel et social.
Là où la cinéaste québécoise touche néanmoins, c’est quand elle fait un pas de côté et propose une autre idée de ce que pourrait être l’amour : dans une scène un peu à part, bouleversante, la belle-mère de Sophia, les larmes aux yeux, lui confie que son époux perd la mémoire. La réalisatrice capture là la tendresse qui relie deux êtres et la douleur qui semble être son lot.
Le principe de plaisir qui commande la relation de Sylvain et de Sophia est aussi celui qui travaille le film. Les dialogues fusent, les rires aussi. La réalisatrice excelle dans l’art d’égayer et d’émouvoir. Son film a le charme de ces aventures qu’on croit décisives : néanmoins, une fois passées, on peine à se souvenir de leur parfum.
Simple comme Sylvain, un film de Monia Chokri, avec Magalie Lépine Blondeau, Pierre-Yves Cardinal, Francis-William Rhéaume. En salle le 8 novembre.