Du 18 octobre 2012 au 20 janvier 2013, s’est tenu à la maison Victor Hugo, l’exposition “Entrée des médiums” Spiritisme et art de Victor Hugo à Breton. L’occasion pour Zone Critique d’accomplir un retour sur l’histoire encore majoritairement méconnu du Spiritisme.
« Si la science ne veut pas de ces faits, l’ignorance les prendra », avait déclaré un jour Victor Hugo. Et effectivement, si Allan Kardec devint au XIXème siècle le « pape du spiritisme », Victor Hugo en fut l’un de ses plus célèbres adeptes. S’est ainsi tenue autour de cette thématique, du 18 octobre 2012 au 20 janvier 2013 à la maison Victor Hugo, l’exposition “Entrée des médiums” Spiritisme et art de Victor Hugo à Breton. Proposant un regard historique sur les productions artistiques façonnées par le spiritisme -parfois aussi étranges qu’involontaires (1)-, l’exposition tenta de rendre sensible le surgissement d’une nouvelle esthétique, qui ne cessa d’alimenter l’art jusqu’à l’aube du XXIème siècle. En s’appuyant sur des œuvres rarement présentées, l’exposition chercha à disloquer le cloisonnement d’une catégorisation artistique et à les confronter, toutes impulsions créatives confondues. A l’exemple de Victor Hugo qui essaya, de 1853 à 1855, de communiquer avec les esprits et d’André Breton qui mit au point dans les années 1930 son écriture automatique, l’attraction occulte ne cessa d’aiguiser son influence. Afin d’aider l’Homme à déchirer le sceau de l’au-delà, à atteindre la vérité d’un fond d’idées philosophiques préexistantes, elle guida le domaine de la création vers les zones inconnues ou tout juste défrichées de notre inconscient.
J’aimerai me servir des pistes de lectures suggérées par l’exposition comme point de départ à une réflexion plus vaste sur le spiritisme qui, bien que passionnant le public, reste encore majoritairement méconnu, de par son obscure et éclectique complexité. « Entrée des médiums » Spiritisme et art de Victor Hugo à Breton, est une thématique enfantée par une tendance générale, expliquant la genèse et le développement de l’art abstrait comme intimement lié aux idées spirituelles qui inondent alors l’Europe dès la seconde moitié du XIXème siècle (2).
Le spiritisme, une nouvelle spiritualité ?
Dans la lignée de la pensée de Nietzsche, la religion de l’art est perçue comme un passage à témoin, où l’évènement de la mort de Dieu aurait permis de libérer de nouvelles formes de spiritualités dont l’art moderne se serait aussitôt épris. Bouleversés par le vif désir d’exprimer des idées métaphysiques, utopiques, voire spirituelles, défiant les catégories pictographiques traditionnelles, les artistes se sont vus contraints de puiser dans de nouveaux registres et systèmes de croyance. Ainsi, ces derniers n’ont cessé de se tourner vers une variété de philosophies antimatérialistes, ayant pour fondement diverses doctrines mystiques ou occultistes.
Le mysticisme se réfère dans notre cas à la recherche d’un état d’unité, d’une réalité jugée comme « ultime »
Différant de l’emploi invoqué par les sociologues ou les théologiens, le mysticisme se réfère dans notre cas à la recherche d’un état d’unité, d’une réalité jugée comme « ultime ». L’occultisme, quant à lui, mystérieux par essence, est hermétique à toute compréhension ordinaire et tout entendement scientifique et ne se dévoile qu’aux initiés. Notons que l’acquisition « d’un état de bien être spirituel » différait selon chacun. Certains l’atteignirent par le biais de la lecture et l’étude de la religion ou de l’histoire et d’autres, par la méditation, mais tous inclurent le progrès par étapes afin d’atteindre un plus haut degré de conscience. S’ouvrant à l’étude d’un « sacré » extérieur au judaïsme et au christianisme, l’engouement pour l’orientalisme et les philosophies orientales peut également se lire à travers le prisme de l’occulte, comme ouvrant une nouvelle porte sur une conscience renouvelée, jugée « autre ».
Cet intérêt pour l’occulte mena tout naturellement à la formation de groupes, ni religieux ni parareligieux, mais faisant usage de pratiques diverses et partageant des croyances fondamentales. De fait, le développement spirituel ainsi que l’ensemencement d’une « intériorité » devinrent des aspects primordiaux, protégeant l’âme du démon, de l’industrialisation qui s’empara alors de toute l’Europe, conférant un esprit de diabolique suspicion aux valeurs matérielles.
Effectivement, la révolution industrielle et ses conséquences bouleversèrent la donne économique : l’on passa du monde ancien aux temps modernes, mécaniques. Couplées aux découvertes darwiniennes, elles eurent un impact sans précédent, ébranlant la croyance au même titre que la confiance dans les religions traditionnelles, ouvrant sur une vie aussi stérile que dénuée de sens. Sans aucun doute, c’est ainsi que nous devons interpréter l’engouement pour la théosophie (3) et toutes les philosophies semblables: elles représentaient intrinsèquement une tentative de conférer un sens aux divers aspects de la vie d’un individu, projetant une vision séduisante d’une vie après la mort – notion dorénavant évacuée des croyances rationnelles post-darwinistes- et trouvant son dernier refuge dans les religions établies et institutionnalisées. Ainsi, suite à la mort de Dieu déclamée par Nietzsche, la promesse de la réincarnation fleurit tel un antidote au positivisme et aux philosophies matérialistes alors en plein essor.
Le spiritisme comme science nouvelle?
Par ailleurs, les phénomènes spirites essayèrent par le biais de recherches expérimentales d’étendre le monde empirique au supranaturel. De la sorte, la psychologie contemporaine préfreudienne développa une conception métaphysique de l’inconscient, en s’appuyant sur le somnambulisme, la transe et l’hypnose. Ces phénomènes, pouvant mettre en exergue la dimension supranaturelle de l’âme humaine, démontraient ainsi « le sujet transcendant ». La théorie atomique, l’électromagnétisme et la radioactivité étaient quant à eux assimilés à une forme d’énergie qui, aux yeux de l’esprit moderne, rendait l’ancienne dualité entre matière et esprit questionnable voire obsolète. Les nouvelles technologies (photographie aux rayons X) semblaient littéralement rendre le monde invisible palpable, empli de vagues, vibrations, radiations et énergie.
Il semble peu surprenant d’apprendre qu’un nombre important de scientifiques furent eux-mêmes spirites
Afin de s’absoudre du statut de « pseudo-science » et de s’ériger en maître, le spiritisme intégra donc les résultats de nombreuses disciplines scientifiques et dans cette posture d’autolégitimation il semble peu surprenant d’apprendre qu’un nombre important de scientifiques furent eux-mêmes spirites.
Une science de l’âme.
En bref, le spiritisme s’érige comme une nouvelle science. Une science de l’âme, remède de tous les maux. Et c’est dans un siècle en pleine mutation et en crise, que plusieurs artistes vont chercher à faire part de leur doute en intégrant ce questionnement spirituel dans leurs créations artistiques où parfois, il devient une part intégrante de la création artistique.
Longtemps, l’art abstrait fut considéré comme purement formel. L’association avec le phénomène spiritiste ainsi que sa recontextualisation, nous apprend au contraire à considérer l’art abstrait comme un symbole ayant adopté la forme de son image évoquée : l’inexprimable, l’indémontrable. L’art abstrait, véritable hiéroglyphe, cristallise sa propre nature. Ainsi Victor Hugo, Kandinsky, Kupka, Malevitch, Breton, interrogent et sondent les mécanismes même de la création et de l’inconscient.
Bien qu’il ne soit évidement pas question de discuter d’une énième prétentieuse quête des « origines de l’abstraction », la mise en relation de l’occultisme avec les sciences, permet de mettre en évidence ce nouveau bouleversement de la perception : l’œil actif devient double. Un troisième œil se forme à l’intérieur même du spectateur, qui ne cessera de nous fasciner.
(2) Effectivement, cette nouvelle lecture, ne cesse de gagner en importance et popularité ces dernières années. L’on notera depuis les années 1970 des expositions phares comme : The Spiritual in Art, Okkulstimus und avant-garde, Les traces du sacrées etc.
(3) Le terme théosophie fait référence à un système philosophique ésotérique à travers lequel l’être humain tente de connaître « le Divin » et les mystères de la Vérité, très populaire auprès des artistes de la fin du XIXème siècle. Son plus célèbre adepte reste sans doute l’artiste russe et père de l’abstraction, Vassily Kandinsky.
(4) Soit la volonté de se fonder sur des forces invisibles naturelles en élucidant des approches directes afin de révéler en eux-mêmes leurs effets.
Jacqueline Lenard