En décidant de mettre en scène un jeu dans lequel les personnages sont condamnés à s’entretuer pour tenter de remporter une somme conséquente, Squid Game construit un système de violence rigoureusement organisé. Pour tenter d’y échapper et de survivre, les participants n’ont d’autre choix que d’adopter une stratégie de contre-violence – c’est-à-dire l’usage d’une violence légitime et nécessaire à l’endroit des organisateurs du jeu mais aussi des joueurs concurrents – qui exclut, paradoxalement, la morale humaniste à laquelle la plupart des personnages souscrivent. 

L’impasse de la morale humaniste 

Comme toute communauté, Squid Game dispose de codes sociaux et de valeurs sensiblement similaires à la morale véhiculée par la société “du dehors”. Bien que la construction de cette morale résulte des interactions entre dominants et dominés, il faut ici attribuer un rôle prépondérant aux organisateurs du jeu dans la définition des valeurs imposées aux participants. Sur le papier, il s’agit de valeurs humanistes : la liberté (de partir ou de rester), l’égalité (entre les joueurs) et l’entraide (beaucoup d’épreuves se font en équipes). 

Or, l’ensemble de ces valeurs, ont également pour fonction d’opérer un tri entre les participants, et d’empêcher toute idée de révolte de leur part. Dans le premier cas, la morale permet de distinguer ceux qui pratiquent des rapports de prédation – comme Jang Deok-su, personnage qui illustre l’utilitarisme, puisqu’il se sert des uns et des autres en fonction de ses besoins propres –, de ceux qui adhèrent au principe de solidarité. C’est typiquement le cas d’Ali Abdul qui sauve Seong Gi-hun, le héros de la série, lors de la première épreuve. 

Squid Game propose une critique acerbe et teintée de cynisme, de ces manifestations de la morale. En effet, Seong Gi-hun et Ali Abdul sont des personnages naïfs : ils ne comprennent véritablement pas les règles. Ce dernier, très particulièrement, fait état de ce décalage. Il ne parle que très sommairement le coréen, et représente dans l’univers de Squid Game, une forme de pureté candide. Lors de l’épreuve du jeu de billes, alors qu’il est en train de gagner contre Cho Sang-woo, Ali se fait duper car son empathie l’empêche de prendre la dernière bille de son camarade. Or, cette empathie est une faiblesse – et une incompatibilité avec le système, dont le principe repose sur l’instinct de survie individuel –, et Cho Sang-woo en profite pour substituer aux billes des cailloux. Sang-woo vole pour survivre, quand Ali meurt à cause de son empathie et de sa morale humaniste. 

Par ailleurs, la morale est un outil de domination utilisé par les organisateurs du jeu pour éviter toute remise en cause de leur pouvoir. En effet, avant la saison 2, l’idée d’une révolte organisée ne vient à aucun des participants. Pour cause, le respect d’un code de conduite et la docilité des participants sont rendus possibles par la mise en place de règles présentées comme justes, et que chacun croit devoir respecter. Autrement dit, la possibilité d’une révolte est interdite par la croyance dans une morale établie par les dominants. Les personnages se construisent alors autour de valeurs humanistes qui valorisent le respect d’un contrat social. C’est là tout l’enjeu et le paradoxe de cette morale, qui, parce qu’elle se présente comme juste, autorise tous les excès envers celles et ceux qui ne répondent pas à la règle. La justification du jeu et de la mort est donc indiscutable, et la révolte, inenvisageable. 

“La possibilité d’une révolte est interdite par la croyance dans une morale établie par les dominants.”

Le conséquentialisme comme seul rempart 

Lors de la première saison, l’autorité des organisateurs et l’appât du gain permettent de contenir la frustration et la violence, que les participants utilisent pour se détruire entre eux. Contre la morale humaniste de Seong Gi-hun, son cousin, Cho Sang-woo, fait montre d’une démarche conséquentialiste. Il s’agit d’une approche morale qui détermine les actions en vue des résultats concrets attendus et non en vue d’un idéal abstrait. S’il n’a pas hésité à tromper Ali Abdul pour survivre, il n’a pas non plus aidé son cousin lors de la seconde épreuve (“Dagona”), et va jusqu’à assassiner Kang Sae-byeok – blessée et diminuée – à la veille d...