Philippe Jaenada (c) Roberto Frankenberg
Philippe Jaenada (©Roberto Frankenberg)

Avec Sulak, son 10ème roman, Philippe Jaenada met  sa gouaille et son écriture jouissive au service d’une histoire réelle qui a défrayé la chronique et alimenté les pages faits divers des journaux.

2013
22 août 2013

Voyou à belle gueule et au grand cœur, Bruno Sulak, qui a sévi dans les années 80 en France, laisse dans les mémoires une image de héros de film dont le scénariste aurait eu toutes les audaces. Durant sa courte vie, celui qu’on a surnommé « le champion de la cambriole » a délesté tambour battant les supermarchés de leurs recettes, puis les bijouteries aux vitrines étincelantes de diamants, toutes plus alléchantes.

Dans quoi Philippe Jaenada, auteur que je respecte infiniment, s’est-il embarqué ai-je pensé ? Car comment transposer ce personnage au charisme fou et son histoire dans un roman à la sauce Jaenada ?

L’affaire m’a paru complexe et scabreuse d’autant que c’est la première fois que l’auteur s’essaie à la biographie. Et Bruno Sulak n’a rien de commun avec ses héros précédents : il ne s’agit pas d’un gars paumé et indécis mais d’un garçon bien élevé qui, en loupant son grand rendez-vous avec la Légion, prend une trajectoire «  qui le conduira vers le banditisme et les plus grands braquages du vingtième siècle ». Ce dimanche soir déterminant – « Il ne s’est jamais senti aussi mal, aussi impuissant, il se disloque à l’intérieur. La honte l’écrase » – va marquer un basculement de la vie banale de Bruno Sulak vers la transgression, les faux papiers, les cachettes et un impératif : la survie et la quête d’argent facile.

Intelligent, charmeur et d’une terrible acuité, Bruno Sulak va alors mettre au point un système de braquage très simple à l’aide de ses complices yougoslaves, Drago d’abord, Steve ensuite.

Jaenada décrit précisément l’épopée de ce bandit gentil qui traverse la France du nord au sud à la manière d’un road movie non-violent, pimenté par la rencontre de celle qui sera son grand amour, la belle Thalie qui ferait « s’enflammer un Lapon ».Le lecteur vibre quand les plans réussissent, parfois de peu comme à Thionville – « Il démarre, ouvre la fenêtre, sort la main qui tient la grenade et passe lentement devant les flics en transe, comme un flacon de nitroglycérine entre vingt lave-linge en essorage » -, tremble quand l’étau se resserre autour de ce personnage attachant qui n’hésite pas à narguer l’inspecteur Georges Moréas, jouant au chat et à la souris avec les forces de police, provocateur à l’extrême. En trois coups pendables, Bruno Sulak, ennemi public numéro 1 aux mains propres, se fait un nom.

On retrouve la verve, la tendresse, le cocasse propre à l’auteur mais aussi des dimensions nouvelles

On retrouve la verve, la tendresse, le cocasse propre à l’auteur mais aussi des dimensions nouvelles : un énorme travail de documentation, des émotions non feintes et une admiration sincère pour son personnage et son entourage.

Pris dans une sorte de tourbillon paroxysmique au gré des braquages plus incroyables les uns que les autres, le lecteur voit sa tension redescendre et ses zygomatiques s’agiter à la lecture de toutes les petites parenthèses jaenadesques (marque bien connue de l’auteur), jubilatoires et bienveillantes.

Les moments plus délicats, les cavales, la prison, les incroyables coups de chance et les incroyables coups de malchance jusqu’à la mort tragique et suspecte rendent le récit haletant, puis poignant. « Qui sont ces hommes ? » se demande Bruno, témoin des tabassages de détenus auquel il assiste quelques jours avant sa mort.

L’histoire, de la naissance à la mort de Sulak, ne dépasse pas une trentaine d’années et ses méfaits à peine plus de dix ans. La force du livre réside dans l’élégance du personnage, la puissance qu’il dégage et surtout ce subtil équilibre entre fantaisie débridée et tragédie que l’auteur a su faire passer sans trahir son personnage qui finira en « ange décomposé ».

Avec ce roman, Jaenada acquiert une nouvelle envergure : il se plonge à la fois dans le passé et dans le réel, s’interroge, se met à la place de ses personnages, se met en scène, se révèle documentaliste, enquêteur, presque historien, sans rien perdre de la liberté d’écrivain.

  • Sulak, Philippe Jaenada, Julliard, 496 pages, 22 €, 22 août 2013.

Séverine Osché