Au théâtre Silvia Montfort, Guillermo Pisani présente Super, un héros presque parfait, pour tout spectateur à partir de 8 ans. Le spectacle fait partie d’un cycle de recherche de la compagnie LSDI : CROYANCES, laboratoire initié en 2022 et qui verra naître d’autres créations jusqu’à 2025. Un moyen d’explorer les/nos croyances, qu’elles soient politiques, économiques, sociales ou religieuses dans le contexte démocratique qui est le nôtre. Super, un héros presque parfait interroge nos modèles, leur actualité et se propose de réfléchir aux notions d’ordre et de désordre, de justice et d’injustice, de mutation, de progrès et d’action.
Le monde comme il va
Guillermo Pisani est sur scène et se présente comme l’auteur de la pièce. Un technicien avance un panneau blanc à cour qui cache la vue à la moitié du public. Le panneau, image d’une page blanche, est décalé à jardin. Le problème reste identique. Quelle partie du public verra le spectacle ? Qui sont les plus méritants ? nous demande-t-on. Les meilleurs élèves, les spectateurs venus de loin, ceux qui avaient envie de venir, les plus en forme ? Les trois comédiens, Caroline Arrouas, Elsa Guedj et Arthur Igual, arborent des sourires complices et ajoutent des suppositions. Mais le débat tourne court et la page blanche disparaît. Noir salle.
L’histoire que nous allons feuilleter est celle de Super, super-héros d’une cinquantaine d’années qui doit concilier la mission impossible de retrouver le Président de la République volatilisé et sa vie de famille.
Une table et trois chaises noires dont les contours sont surlignés de fines bandes blanches, ainsi qu’un téléphone. Nous sommes entrés dans l’univers de la bande dessinée, en blanc sur fond noir. L’histoire que nous allons feuilleter est celle de Super, super-héros d’une cinquantaine d’années qui doit concilier la mission impossible de retrouver le Président de la République volatilisé et sa vie de famille. Celle-ci est composée de : Claire, sa femme sur-occupée, chercheuse au CNRS et inventrice du robot Robert conçu pour sauver la planète et testé au sein de la famille ; Phil, adolescent très indépendant qui n’est jamais à la maison : et enfin, Liz, la fille délaissée par ses parents qui demande à Robert de lui dicter ses devoirs. Super, épaulé par le robot, tente de sauver la nation et d’empêcher une guerre, en luttant contre son ennemie jurée, Marie Dupont, influenceuse capable de métamorphoses. Tiraillé entre ses responsabilités de parent et son devoir de super-héros, Super ne sait plus où donner de la tête et enchaîne les élaborations de stratégies, les tests de super-pouvoirs, les course-poursuites sur fond défilant de rues parisiennes. La scénographie est composée des illustrations de Barbara Ferraggioli, donnant du relief aux aventures que Super peine à vivre dans un monde enclin à des crises dont les enjeux lui échappent. Ajoutons que cette création dessinée s’est faite en répétition, permettant ainsi un lien fort entre les acteurs et les décors de leurs actions.
Quels héros, pour quelle Histoire ?
On se sent finalement proches de ces débordements de sujets qui nous assaillent, tel ce petit robot qui devient trop lucide à force de calculer les problèmes du monde.
Toute la délicatesse de la pièce de Guillermo Pisani est d’interroger la figure du super héros et ce qu’elle représente dans un monde en constante mutation. Il faut noter l’ambition du texte qui prend comme cadre les histoires de super-héros tout en cherchant parallèlement à en dépasser la désuétude et se donner pour objectif de parler de notre système démocratique. Parfois, cela peut donner l’impression d’une profusion, d’un débordement de sujets abordés mais on se sent finalement proches de ces débordements, de ces dizaines de sujets qui nous assaillent. Ainsi, Robert calcule les problèmes du monde et les solutions potentielles mais devient trop lucide pour un robot. Il sombre dans une mélancolie qui menace de le rendre obsolète. Son pessimisme dicte à Liz un exposé sur les conséquences du réchauffement climatique bien trop sombre. Alors, le professeur de SVT se doute que Liz utilise une intelligence artificielle et convoque ses parents. Mais ni Claire ni Super, si supers soient-ils, ne s’organisent pour honorer ce rendez-vous et c’est donc Robert, déguisé en Claire, qui s’y rend, donnant lieu à une scène hilarante entre Liz, l’enseignant et le robot.
Voix au chapitre
Tandis que Super continue de courir après son ennemie jurée Marie Dupont qu’il accuse d’avoir enlevé le Président, Liz doit faire un nouvel exposé. Elle travaille sur le sort de l’archipel Tuvalu, l’un des fils conducteurs dramaturgique du texte : le réchauffement climatique entraîne une montée des eaux qui menace ces îles de disparition. Que devient une nation immergée ? Rien de moins qu’une nation digitale qui duplique ses îles dans le métavers !
Liz remarque qu’elle hérite d’une histoire qu’elle n’a pas écrite.
Liz a réfléchi seule. En préambule de son exposé, elle remarque qu’elle hérite d’une histoire qu’elle n’a pas écrite et ce constat synthétise la démarche du spectacle qui propose de se réapproprier un temps qui semble nous échapper. En commençant par essayer de comprendre, Liz s’engage dans un rapport actif au monde, condition pour essayer de le changer. Elle le fait tout humainement, sans chemin tout tracé, et aux côtés de Super dépassé, de Claire sur-occupée, de Phil absent et de Robert déprimé.
C’est le contraste entre Liz et son père qui nous émeut : entre lui qui fonce tête baissée d’aventures en fausses informations, oublieux de quelques données élémentaires (ne pas faire brûler quiches et coquillettes, accompagner son enfant à sa première exposition) et elle, poussée à une tentative moins confortable que de se satisfaire de réponses toutes faites. Liz travaille à son exposé et surtout, elle l’illustre. Par-là, elle donne une forme, sienne et personnelle à ce qui était embrouillé. C’est une belle façon de se construire.
Liz redessine les contours de l’héroïsme et c’est peut-être elle qui est dotée d’un « pouvoir d’écriture contemporaine ». Elle nous redonne, tout comme Claire le fera pour Robert, une petite dose d’espoir.
Dans notre monde bien compliqué, on est reconnaissants à Guillermo Pisani d’essayer de donner forme à nos contradictions et questionnements. Ici, la compagnie LSDIE traite de ce que pourrait un supposé héroïsme contre le réchauffement climatique et les évolutions technologiques au prisme d’une petite famille un peu spéciale, et sous forme de vignettes dont les pages sont tournées comme celle d’un livre ouvert, qui s’écrit avec super-aventures mises en regard d’un quotidien où les personnages essaient (et avec raison) de se construire. Un spectacle tout indiqué pour ceux qui grandissent et se posent des questions.
- Super, un héros presque parfait, écrit et mis en scène par Guillermo Pisani, avec Caroline Arrouas, Elsa Guedj, Arthur Igual, dessins de Barbara Ferraggioli, musique de Nicolas Diab, costumes d’Isabelle Deffin, création vidéo de Romain Tanguy et animation vidéo d’Hervé Garcia. Le texte et les dessins sont publiés aux éditions Esse que.