Il était temps, il était grand temps, qu’après tous ces couvre-feux et ces confinements, je m’autorise à rejoindre l’immense majorité de mes contemporains s’octroyant des escapades à la campagne. J’ai donc préparé une valise sans trop y prêter attention et j’ai rejoint la Normandie sans passer par Saint-Lazare, direction le 8ème et la Galerie Lelong & Co. , pour l’exposition “Ma Normandie” de David Hockney.
Cloîtré à Paris depuis des mois, deux choses me manquaient, le grand air et les expositions. “Ma Normandie”, sixième proposition de David Hockney à la galerie de la rue de Téhéran, combine les deux en exposant dans ses grandes salles une dizaine de nouvelles peintures ainsi qu’une série d’œuvres sur papier exécutée depuis son installation en Normandie en 2019.
L’histoire est banale, celle d’un vieil Anglais qui s’achète une longère à colombage dans le Calvados pour y trouver du repos, poser ses valises en tartan et y garer son Land Rover. Sauf qu’ici l’Anglais excentrique, c’est David Hockney. Lors d’un séjour en 2018 à Bayeux, le peintre y découvre la tapisserie de la reine Mathilde. Il est marqué par les paysages et la gastronomie locale qui finiront de le convaincre, l’année suivante il emménage à Beuvron-en-Auge et transforme la grange en atelier et se met au travail.
Le résultat est une visite de propriété. Un panorama à 360° en 8 toiles de ce que l’on peut voir depuis le jardin. Comme il avait pu le faire sur iPad depuis la fenêtre de sa maison du Yorkshire quelques années auparavant, Hockney peint le temps qui passe. Le printemps qui s’annonce et qui vient peu à peu grignoter les courtes journées d’hiver. On trouve alors dans les pommiers, dans les chemins, sur les murs de la maison et dans le reflet des tuiles une palette de couleurs détonante. Le soleil vermillon de l’aurore fait alors passer les pommes pour des citrons, l’allée de l’entrée prend des airs de lavande, et on en vient à se demander si la Californie qu’il a si longtemps immortalisée ne s’est pas invitée à quelques kilomètres de Caen. Seul le ciel changeant et jamais loin de l’averse nous rappelle que le “splash” normand vient d’en haut.
Dans l’étude, on retrouve le défilé de la tapisserie voisine, mais aussi la rigoureuse simplicité de certaines estampes japonaises. Les colombages de la maison rappellent les chaumières hollandaises de Rembrandt. Et si, lorsqu’on évoque lumières et Normandie, on pense forcément aux impressionnistes français, on note qu’ils ont le plus souvent omis d’inclure dans leurs compositions les constructions typiques. Ici, Hockney se sert de ces géométries contrariées comme d’un motif qu’il démultiplie comme ses “haricots” ou ses points d’acrylique. Dans l’ombre, au fond du jardin, on aperçoit sur quelques toiles une dernière occurrence des poutres normandes, comme un symbole, une cabane dans les arbres, pour s’isoler, pour dessiner ce que l’on veut, comme un vieil enfant.
Une seconde salle opte pour l’intérieur de la maison. Dans deux styles distincts, les plaines laissent place à différentes accumulations. Deux dessins à l’encre semblent raconter des recherches et s’opposent par leur clarté aux impressions d’esquisses faites à l’iPad, sortes de détails d’un intérieur sans âge. On pourrait être dans le coin d’un de La Tour, mais ici le clair-obscur se fait sur les murs du lieu d’exposition. Reste encore cette impression qui se confirme une dernière fois lorsqu’en quittant la galerie, nous fait face une imposante photographie du peintre à son chevalet dans son jardin : on n’est pas sérieux quand on a 83 ans.
Pour vous offrir un bol d’air frais, rendez-vous jusqu’au 27 février à la Galerie Lelong & Co, 13 rue de Téhéran. Les réservations ne sont pas obligatoires mais conseillées.
Pierre Berthelot Kleck