Le livre d’Antoine Compagnon|, Un été avec Montaigne, propose une lecture de quelques passages des Essais. On y rencontre un Montaigne méfiant du progrès politique.
«Feuilleter le livre, passer d’une rêverie à l’autre.» C’est ainsi que l’auteur des Essais, l’une des plus grandes œuvres de la littérature française, concevait la lecture, retiré du monde, à l’abri dans sa bibliothèque. C’est aussi de cette manière qu’Antoine Compagnon, célèbre professeur au Collège de France, a pensé sa lecture de Montaigne, en picorant quelques extraits dans le vaste grenier littéraire que constituent les Essais. En l’an 2012, Antoine Compagnon a participé à une série d’émissions diffusées sur France Inter, autour de ce grand livre du XVIe siècle, afin que les auditeurs passent un bel été, avec Montaigne. C’est de cette expérience radiophonique qu’est né ce livre.
Sélection
Un été avec Montaigne est une lecture de moments cultes des Essais, comme l’adresse «Au lecteur», le chapitre sur l’amitié avec La Boétie («parce que c’était lui, parce que c’était moi»), ou encore la rencontre de l’Indien arrivé du nouveau monde. Mais ce livre est aussi un choix original d’extraits, où Montaigne réfléchit sur le surpoids de son livre, qui n’a cessé de grossir au fil des éditions, sur le pouvoir mystérieux de la semence masculine, mais aussi sur des thèmes plus politiques.
Conservateur
«Le changement c’est maintenant.» Il est certain que l’ancien maire de Bordeaux aurait haï une telle phrase, prise comme slogan d’une campagne présidentielle. Antoine Compagnon dépeint un Montaigne conservateur, qui se méfie de toute réforme, et en l’occurrence de la Réforme protestante. Selon lui, beaucoup de réformateurs aggravent l’état des choses, plutôt que ne l’améliorent. Mieux vaut ne rien faire, au lieud d’agir sans vraiment connaître les conséquences de ses actes.
Selon Montaigne, beaucoup de réformateurs aggravent l’état des choses, plutôt que ne l’améliorent
Réactionnaire
Pour Montaigne, l’idéal se situe souvent derrière nous, c’est-à-dire aux «commencements et aux principes». Il est important de conserver les traditions et les coutumes qui font la stabilité d’une société. L’auteur des Essais préfère restaurer l’état ancien plutôt que de le refondre radicalement en un monde nouveau.
«Droit dans ses bottes»
Antoine Compagnon a choisi un extrait dans lequel l’ancien maire de Bordeaux nous propose une leçon politique. En 1548, alors que le peuple bordelais gronde, Moneins, un lieutenant du roi est envoyé en Gironde, pour parler à la foule et tenter de la calmer. Moneins est massacré par la population. En 1585, alors qu’il est maire de la ville, Michel de Montaigne doit lui aussi faire face à la colère du peuple. Il descend s’adresser à ce dernier, mais est épargné. Pour Montaigne, s’il est sorti vivant de cette crise politique, c’est qu’il a su resté droit et ferme face au peuple, contrairement à Moneins qui s’est montré hésitant. C’est peut-être en suivant ses conseils, qu’un autre maire de Bordeaux, Alain Juppé, alors Premier ministre de Jacques Chirac, a répondu aux grandes grèves de 1995: «je resterai droit dans mes bottes». Une droiture qui ne l’a pas épargné puisque son gouvernement s’est vu désavoué par les élections législatives anticipées de 1997.
Inclassable
Il est difficile de situer Montaigne sur un bord politique plutôt qu’un autre, tant la pensée de l’écrivain rassemble les contradictions. Celui qui se voulait ferme avec les peuples, était contre l’autorité, littéraire soit-elle. Comme certains en ont en politique, Montaigne répétait qu’il n’avait de mentor en philosophie. Il citait très rarement les auteurs des maximes grecques et latines qu’il convoquait dans son livre. Pour que le lecteur ne soit pas aveuglé par le prestige d’une signature antique, et puisse mieux contredire le discours de Michel de Montaigne, humble écrivain de son siècle.
- Un été avec Montaigne, Antoine Compagnon, Edition des Équateurs, 2013