Dans Un roman étranger, premier roman de Khalid Lyamlahy, publié aux éditions Présence Africaine, un étranger exilé dans une capitale européenne, lutte pour renouveler son titre de séjour, écrire son premier roman et conquérir un amour impossible. Dans ce texte exigeant, l’auteur nous entretient de l’âpreté du travail créatif.
Khalid Lyamlahy vient de publier son premier roman. C’est une œuvre complexe et étonnante. Un jeune homme dont on ne connaît rien, pas même le prénom, en est le personnage principal et le narrateur. Il se déplace dans une grande ville anonyme, grise, froide, dotée entre autres d’un cinéma, d’une boîte à lettres, de divers bistrots et d’une Préfecture, allant d’un lieu inhospitalier à un autre selon les nécessités qui le guident. Le lecteur apprend au détour des pages qu’il est issu d’un couple psycho rigide mais amateur de livres. Il n’en saura pas davantage, pas même la nationalité de ce jeune étranger qui doit faire renouveler un titre de séjour. Personnage opaque et torturé, le « héros » poursuit des études universitaires non identifiées et ne semble pas accablé de travail. Il n’a presque aucun contact avec la population du pays où il réside, et ne paraît pas avoir besoin d’argent.Il ne s’agit donc pas d’un roman réaliste qui traiterait de la condition décalée de l’étudiant venu d’ailleurs ou du besoin urgent d’avoir des papiers en règle. Le projet de l’auteur est tout autre.
La nausée
Le personnage a la nausée. On a parfois envie de lui crier : « Roquentin, sors de ce corps ! ». Le vrai sujet du livre est en effet une recherche du temps perdu. L’étudiant procrastine, rêvasse, erre, accablé par le sentiment d’appartenir à un univers dépourvu de sens, noyé dans une monotonie globale qui détruit les aspirations personnelles. Trois domaines d’intérêt s’offrent à lui : établir une relation sentimentale avec une jeune fille ; faire renouveler son titre de séjour –descriptions sans concessions des demandeurs parqués devant la Préfecture, des bureaux glaçants, de l’indifférence du personnel, énumérations sans pitié des listes de pièces à fournir, avec une précision d’entomologiste- ; et, surtout, écrire un roman, tâche qui s’élabore au fil du récit dont le plan fait alterner les trois préoccupations. Dans cette mise en abyme soigneusement élaborée, un autre effet de répétition s’élabore avec l’intrusion du seul ami du narrateur, un peintre en échec prénommé Lucien, qui joue le double de l’apprenti romancier. Les angoisses de l’un font écho aux impuissances de l’autre.
C’est que le projet n’est pas celui de « raconter une histoire », mais de rendre compte de l’effort même de l’écriture
C’est que le projet n’est pas celui de « raconter une histoire », mais de rendre compte de l’effort même de l’écriture, de l’âpreté de la création, des moments de découragement, de la recherche éperdue de l’exactitude des termes pour donner corps et lettres à la sensation de vide et à l’horizon dépressif du personnage, qui veut « élever la simplicité subjective au rang de l’efficacité chirurgicale ».
Efficace, ce texte l’est en effet, et il mérite qu’on s’y attache : la lecture n’en est pas cursive mais exigeante, et l’effort vaut d’être entrepris. On attend avec intérêt le prochain ouvrage de Khalid Lyamlahy.
- Un roman étranger, Khalid Lyamlahy, Présence Africaine, 2017, 20 euros
Jeanne Fouet-Fauvernier