Premier texte traduit en français de Victor Heringer, mort en 2018, L’Amour des hommes singuliers est un roman beau et sensible teinté de mélancolie. Camilo a « environ treize ans » lors des grandes vacances de 1976, celles pendant lesquelles son père revient dans leur maison de Queím, quartier fictif de Rio, avec un gamin à son bras. Cosme est métisse, intimidant, un peu hardi, et le narrateur lui voue immédiatement une haine viscérale, celle du garçon unique qui ne concentre plus toute l’attention, celle du petit Blanc protégé qui sent que sa place lui est volée par un adolescent un peu plus âgé, un peu plus beau et à la peau un peu plus sombre. Et puis Cosme est valide là où Camilo marche avec des béquilles ou une canne de goyavier, en fonction de l’humeur. 

Victor Heringer

Faire fondre la glace

Pourtant, après un silence froidement respecté entre les deux jeunes hommes, des distances scrupuleusement instaurées, quelque chose se passe, une douceur, une intuition peut-être. 

« Ma haine à son égard avait disparu. Je crois que la haine a la consistance d’un nuage, une chose à la portée de quiconque veut l’attraper, la laisser fermenter et la façonner à sa guise. C’est un appendice de l’esprit. Elle n’a pas de propriétaire, ni d’objectif clair, elle ne peut être anticipée ou maîtrisée, c’est une espèce de peste bubonique qui se propage, un venin hors de contrôle, de la lave volcanique, une vague de tsunami, je ne sais pas trop quelle est la bonne comparaison. »

Joana, la petite sœur au sourire triste, a quant à elle immédiatement accepté cette présence jamais expliquée, suscitant cris, portes claquées et silences – peut-être cette arrivée est-elle d’ailleurs à l’origine de ce qui provoquera le divorce des parents. Le Camilo plus âgé qui prend la parole à intervalles irréguliers pense qu’il s’agit plutôt de ce qu’évoque sa mère dans une missive posthume, du rôle qu’aurait joué le père, médecin, dans les tortures orchestrées par la dictature militaire de Castelo Branco. Selon elle, Cosme aurait été le fils d’une de ces victimes, orphelin recueilli pour se racheter une conscience. Du régime totalitaire qui dure de 1964 à 1985, de ses exactions et du reste, rien d’autre ne sera dit – le maréchal n’est même pas nommé. Ce n’est que plus vieux que Camilo semble réellement prendre la mesure de ce qui se déroulait.

Toujours est-il que Cosme emménage chez Camilo et que bientôt, après un regard complice, un geste d’apaisement, la glace se brise entre les deux garçons. C’est le début d’une aventure brève, d’une fulgurance comme seules le sont les premières amours. 

Chiens des rues 

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