Après l’épopée du Livre du large et du long et le roman La Semaine perpétuelle, Laura Vazquez confirme sa réputation d’écrivaine polygraphe en publiant sa première pièce de théâtre, Zéro, annoncée avec humilité par l’autrice le 12 novembre dernier dans un post Instagram comme « une tragédie et une histoire d’amour ». La simplicité avec laquelle la poétesse présente son travail, fruit d’un séjour en résidence à la villa Médicis, ne relève ni de la pose ni d’un aveu de conscience: la réduction de toute chose qu’impose le chiffre zéro permet à l’autrice de mettre les explorations formelles au service d’une grande intensité émotionnelle. Les conventions poétiques et théâtrales se brisent pour mettre à nu le sens du monde dans une forme « 100% ancienne et 100% neuve ». 

Pour un poète que le langage inquiète, le théâtre constitue un médium capable d’interroger les limites de la poésie. Au théâtre, la parole, et sa capacité à simplifier le monde, à le falsifier, à aliéner autrui, est constamment mise à l’épreuve par l’échange entre plusieurs personnages ou la confrontation directe avec le public – le mot n’est alors plus un miroir, mais, comme le dit une des parleuses de Zéro, un « objet », qui passe de bouche en bouche. En se tournant vers la scène, la poésie ne renie pas ses fonctions, elle revient à son creuset originel. L’hybridité du texte de Laura Vazquez, qui incorpore la spatialité de la page versifiée à la linéarité de l’action dramatique, répond donc à cet enjeu éthique, et ce en employant des images qui sont pourtant d’une grande simplicité : « si je nomme le ciel je le tue / ce ciel n’est pas le ciel / c’est forcément un autre ciel quand je dis ciel » ou « avec l’idée que j’ai de toi / toi / je ne fais que / on dirait que je ne te vois pas ». Parler, c’est courir le danger de nefaire que, de réduire le monde, les éléments, les êtres, de ne pas tourner son regard vers autrui pour faire geste de considération, et le théâtre permet de rendre cela visible sans avoir recours ni à l’allégorie, ni à la théorie. Touchant parfois au dialogue philosophique, Zéro ne cesse pourtant de ramener les hauteurs de la réflexion à la dimension concrète de la scène. Prenons l’acmé de la pièce, à la fin du troisième acte, quand l’une des parleuses croit enfin atteindre avec sa partenaire la plénitude fusionnelle qu’elle espérait tant : 

« si tu me touches parfois je sens que je deviens extérieure
aux choses
et même extérieure à moi et je vois une beauté énorme
c’est une beauté énorme
c’est le monde supérieur
alors je ne suis plus là et toi tu n’es plus là
 »

Les élans lyriques de la première parleuse, qui lui fait atteindre le zéro annihilateur sont immédiatement restreints par la deuxième parleuse, qui lui répond « je suis là », lui rappelant l’ici et maintenant de l’acte de langage, la fatalité de la scène. La poétesse ne cherche à toucher à l’abstraction, elle cherche à avoir une approche concrète du monde, rendu lisible par un travail de répertoriage. La matérialité de la scène de théâtre demande à ce que le dialogue ne soit pas seulement figuré sur la page, mais à ce qu’il soit incarné par des corps dans un temps et un lieu mesurable. Il s’agit de mettre le langage en spectacle, de l’offrir en tant qu’expérience sensible. 

“En se tournant vers la scène, la poésie ne renie pas ses fonctions, elle revient à son creuset originel.”

Laura Vazquez reprend la structure en cinq actes de la tragédie classique pour dramatiser ces enjeux poétiques et éthiques, dans des situations réduite...