Après son premier roman, Acide, Victor Dumiot sort une nouvelle dans la collection Vrilles, intitulée Les Petites Lèvres. Un récit sans doute aussi acide que l’est son roman, et qui parle de la mécanisation de l’amour et du sexe au XXIe siècle. La grande question que se pose l’écrivain en filigrane de ce texte pourrait bien être celle-ci : que reste-t-il du désir ? Entretien.

Estelle Derouen : Pourquoi lancer « Vrilles », une collection de nouvelles, alors même que ce format n’est pas très populaire France ? N’est-ce pas un pari risqué ?

Victor Dumiot : Parce que nous aimons prendre des risques. Le format court est très populaire aux États-Unis, en Angleterre. Il l’est chez les Allemands, les Russes, les Espagnols, alors pourquoi pas en France ? Peut-être parce que nous restons prisonniers d’une conception traditionnelle de l’Auteur, une sorte de mâle blanc à longue barbe, à peu près semblable à l’image qu’on se fait de Dieu, et qui écrit des tonnes et des tonnes de pages, à la Hugo, debout, au sommet d’un phare, avec pour seul vis-à-vis la mer, l’immensité de la mer. Il faut en finir avec l’Auteur, vous ne croyez pas ? J’appelle en tout cas à son euthanasie.

Un remède d’autant plus urgent que nous vivons une époque où l’économie de l’attention a considérablement changé. Entre les storys instas, les vidéos Tik Tok, et les films sur Pornhub, les gens n’ont tout simplement plus le temps de lire. Ce que nous souhaitons, avec Vrilles, c’est réintroduire la littérature dans le quotidien des lecteurs. Mener la guerre à cette époque d’images, de la simulation dirait Baudrillard, à ce gavage par le divertissement dont nous sommes tous et toutes les bonnes oies obéissantes, grâce au format court. Montrer que la littérature existe, et que lire une histoire intégrale, cela peut prendre trente minutes, le temps d’un demi épisode sur Netflix. Surtout, leur montrer que la littérature déploie des puissances sensorielles et intellectuelles inédites. L’époque est paradoxale, à la fois hyperindividualiste, et en même temps très superficielle. Les individus sont appelés à vivre refermés sur eux-mêmes, mais à avoir la possibilité ou le temps de plonger en eux-mêmes. Il faudrait être une surface plane, parfaitement délimitée, comme le carreau d’un cahier. La littérature invite à faire le grand plongeon.

ED : Donc, après un premier roman, voici une nouvelle, Les Petites Lèvres, publiée le 1er février 2024. Pourquoi décider de revenir avec ce format plus court ?  

VD : Pour deux raisons. D’abord, parce que la nouvelle, du fait de son format, permet de s’engouffrer dans des voies de l’imaginaire, qui auraient pu faire un roman, mais qui ne sont que des cul-de-sacs. Des romans potentiels, j’en ai au moins une quinzaine au bout des doigts, dans la tête. La nouvelle permet de faire de ces romans qui ne verront jamais le jour, de véritables histoires écrites et à lire. En bref, c’est un moyen de m’en débarrasser. Après avoir écrit une nouvelle, je me sens plus tranquille, plus serein. Je suis plus léger. C’est du one-shot. C’est aussi un laboratoire d’écriture, où l’on peut se permettre des choses que l’on n’oserait pas forcément tenter dans un roman. C’est un moyen de tout remettre en jeu, et en particulier sa langue, parce qu’il faut être plus efficace, plus condensé. Faire en vingt pages ce qu’il serait raisonnable de faire en quatre cents. La troisième raison, c’est que cette nouvelle est le premier texte d’une collection dirigée par Pierre Chardot et moi-même. Les Petites Lèvres l’inaugure, en même temps qu’elle inscrit dans le sillage d’une littérature contemporaine, cash, percutante et sexy.

ED : Dans votre nouvelle, nous retrouvons des préoccupations déjà présentes dans Acide (Bouquins, 2023), notamment autour du corps. Vous avez toujours une manière si précise de l’évoquer, presque médicale, chirurgicale. Pourquoi cette obsession pour le corps ?

J’ai toujours eu le sentiment d’être un mutant.

VD : J’ai toujours eu le sentiment d’être un mutant. Ce qui me plait dans le corps, dans le mien comme dans celui des autres, c’est sa capacité à provoquer le malaise. Ce sont des surfaces, ou plutôt des interfaces, qui nous rendent vulnérables, qui intranquillisent l’esprit, la conscience, par le désir, par la honte, par la douleur. Ce qui me passionne, c’est de travailler les mutations de ce corps, rester au contact de la peau, de la chair, des muscles, via la littérature. Trouver des images pour raconter l’histoire de ce corps violenté, caressé, lacéré, etc.

Dès que l’on parle du corps, on a tout de suite un moyen de toucher le lecteur le plus intimement possible. De lui faire fermer les yeux, serrer les dents. De l’exciter ou de lui donner la nausée. On peut aussi le faire réfléchir. Effectivement, le corps est objet de fantasme : il est réprimé en même temps qu’il nous obsède. Aujourd’hui, l’obsession du corps est partout, omniprésente, mais est-ce bien nouveau ? Les Grecs n’étaient pas non plus les moins obsédés… Ce qui a changé, peut-être, c’est la déréalisation de notre rapport au corps, et la prolifération de moyens paresseux qui reposent sur une tromperie ; il existerait un modèle vers lequel tendre, celui des filtres snapchats, des corps anorexiques de la Fashion Week, de la chirurgie esthétique des jeunes Coréens qui voudraient ressembler aux Occidentaux, mais ce modèle n’existe tout simplement pas. Heureusement, nous sommes en train de déconstruire un certain nombre de stéréotypes, de dévoiler les rapports de force qui se cachent derrière la guerre aux bourrelets, aux poils. C’est en cela que notre génération est paradoxale, par un certain goût de la schizophrénie, elle se déploie dans deux directions opposées, elle s’émancipe, en même temps qu’elle vient chercher de nouvelles répressions. C’est aussi pour cela que je travaille le corps en littérature, exactement comme un ingénieur le ferait avec le moteur d’un véhicule hybride : j’essaie de comprendre ses rouages, sociaux et culturels, et de pulvériser ses représentations.

ED : L’épigraphe est une citation de Georges Bataille faisant référence à la maison close. Dans votre nouvelle, le personnage se nomme également Georges, vendeur d’assurances le jour, et qui se rend la nuit dans une forêt pour s’adonner au libertinage. Quelle est la véritable maison close de ce personnage ?  

VD : C’est tout l’enjeu pour notre société de trouver des lieux de vraie débauche. Pas seulement de débauche sexuelle, mais de débauche amicale, de charité. De vrais lieux où s’adonner à la gratuité, c’est ça la débauche : c’est le règne de l’inutile. Ce sont des lieux où les injonctions sociales ne s’appliquent plus, parce que l’imaginaire gouverne, parce que la gratuité revient. C’est un peu comme cela que je conçois les hétérotopies dont nous parle Michel Foucault dans un très beau texte.

Georges, mon personnage, cherche effectivement sa maison close. Il pense que cette forêt, la Zone, sise près d’un magasin Auchan, représente une véritable maison close. C’est là toute l’ironie de l’histoire : juste  à côté de cette antre du commerce et de la marchandisation se déroule le plus grand théâtre de corps qui baisent, mais ne sont pas vraiment dans la débauche pure. Il ne faut pas fantasmer la maison close comme un espace d’émancipation. C’est un espace de consommation, essentiellement masculin, mais c’est aussi un espace d’oppression. Un endroit où la débauche, au sens moral du terme, s’acoquine avec la rationalisation économique des corps. De même, il ne faut pas confondre le libertinage au sens noble, celui du XVIIIe siècle, avec le libertinage actuel. Ce que fait Georges, c’est-à-dire donner des rendez-vous sur des applications à des inconnues, coucher avec des femmes, de la même manière qu’un ouvrier pose des boulons sur sa chaîne de production. Georges est un bodybuilder de la baise. C’est le Thierry Metz de la fuck. Il y a une transaction, impersonnelle, malgré l’intimité du rapport sexuel, entre la femme qui commande et Georges, réduit à son simple membre, TTBM, qui se sent absolument dépossédé de son corps.

ED : Georges a un fantasme complètement fou. Pensez-vous que les fantasmes, puisqu’ils tiennent du rêve, sont faits pour être réalisés ?

VD : Je pense qu’il y a un drame majeur qui frappe notre époque : la pulvérisation  de nos fantasmes, lesquels sont capturés et modifiés par des images, par des marchandises, par des rapports de plus en plus autocentrés, individualisés. Il n’y a plus de relation sexuelle, il y a des expériences sexuelles, des atmosphères sexuelles. Bientôt, sur les applications, on pourra mettre une note à notre partenaire, le recommander, ou non, aux prochains. Et les algorithmes, toujours plus précis, en fonction de nos préférences, nous recommanderont des textures de peau, des arômes de salive, des couleurs de tétons.

Ce qui m’intéresse dans le fantasme, c’est justement toute l’imagination et la puissance désirante, universelle, humaine, avec ses lois de l’hospitalité, pour reprendre le titre d’un grand roman de Klossowski, qui le sous-tendent. Georges est un être sans désir, il est le spécimen qui vient, l’homme passé à la chaise pornographique, surstimulé, surlobotomisé, dont la sexualité est réduite à un jeu de muscles dans un corps éclaté. Son fantasme, c’est la voie du salut. Une véritable transcendance. Il s’y accroche avec la ferveur d’un missionnaire jésuite au Japon. Car il désespère, dans son désert d’existence, de ne plus rien désirer, de ne plus rien imaginer, de juste vendre des produits financiers dans son petit bureau qui sent les produits ménagers. (Pour moi, le vendeur d’assurance est le policier du capitalisme, le contremaitre du système marchand). Georges espère qu’au travers de cette réalité dégradée de vendeur d’assurance, il trouvera la possibilité de désirer à nouveau.

Moi, je ne sais pas comment désirer à nouveau – quoique. Je crois que le fantasme est une tension et que le désir se nourrit de ces  tensions. Les libertins du XVIIIe siècle ont une sexualité très orale, qui passe notamment par la fable : ce sont des gens qui vont se raconter des histoires. Il y a un film génial à ce sujet : film Liberté d’Albert Serra, dans lequel des libertins se retrouvent dans une forêt pour se livrer à une étrange messe noire. Ce sont des corps qui se frottent, se grattent, se traversent et surtout qui se racontent. Les personnages passent leur temps à se raconter leurs fantasmes. C’est la folie de l’imagination, j’aime cette folie.

ED : Il faut avoir des fantasmes pour faire vivre le désir mais les réaliser, ce n’est donc pas le plus important.

VD : Oui, ce qui est important c’est de retrouver les capacités d’imaginer quelque chose, autre chose.

ED : Mais Georges ne s’arrête pas au fantasme, il agit. Que cherchez-vous à provoquer chez le lecteur ?

VD : D’abord, il y a cette chose étrange, que les lecteurs connaissent, en tout cas ceux qui se sont engouffrés dans l’entreprise de réalisation du fantasme : justement, c’est une entreprise. C’est un dispositif. C’est une scénographie. C’est une certaine rationalité, sexuelle, fantasmatique. Un peu équivalente à ce bateau qu’il convient de faire par-dessus la montagne dans le film génial, Fitzcarraldo, de Werner Herzog. La préparation du fantasme ressemble comme deux gouttes d’eau à la préparation d’un crime, ou d’un exploit.

Quant à l’effet produit sur le lecteur : simplement, le dégout. Ma nouvelle est une farce. Un carnaval dans lequel les valeurs se renversent, se reconstruisent, avant de s’effondrer sur elles-mêmes.

Quant à l’effet produit sur le lecteur : simplement, le dégout. Ma nouvelle est une farce. Un carnaval dans lequel les valeurs se renversent, se reconstruisent, avant de s’effondrer sur elles-mêmes. Ce que je veux montrer, c’est le vide, l’abîme.  J’espère que le lecteur éprouvera un certain malaise, qu’il se sentira lui-même un peu sale, après avoir traversé ce fantasme en compagnie de Georges.

Je dois dire que l’histoire des cannibales de Düsseldorf m’a un peu inspiré. Il s’agit d’une affaire criminelle très connue, qui se déroule au début des années 2000, et qui, d’une manière assez crépusculaire, baptise notre siècle. Un homme a le fantasme de dévorer un autre homme, de préférence vivant, et poste une annonce sur un forum consacré au cannibalisme. Après plusieurs semaines, il entre en contact avec un type qui, sérieusement, a le fantasme de se faire dévorer jusqu’à la mort. Les deux se mettent d’accord, faut les imaginer, consciencieusement prévoir la date, l’heure, le lieu de ce festin. Ils se retrouvent, et sous l’oeil des caméras, car le type veut avoir sa vidéo-souvenir, découpent, cuisinent et dégustent ensemble le pénis. C’est très romantique. Je ne sais pas ce que penserait Freud de ce fétichisme, c’est presque trop évident. Ensuite, le type se fait égorger, puis dévorer, pendant quelques semaines. Cette affaire criminelle est passionnante, parce qu’elle pose la question du consentement, et la limite de ce consentement dans le cadre de pratiques extrêmes. Existe-t-il un droit universel, dépassant les individus, au respect de la dignité humaine, et de l’intégrité du corps, de la préservation de la vie ? Oui ! Je suis simplement libre de me suicider.

ED : Vous écrivez dans Les Petites Lèvres : “La beauté des choses est comme une écorce qui gratte, la poésie c’est de la souillure, de la falsification versifiée.” Difficile d’échapper au rapport  que Georges Bataille avait avec le registre poétique. Quel est votre rapport à la beauté ? Pensez-vous qu’elle soit superflue ? Quelle importance donnez-vous à la beauté dans l’art ?

VD : Une importance capitale :  je suis fascinée par la beauté des choses. Un véritable esthète. Le passage que tu viens de citer reflète la pensée de Georges, c’est la voix  d’un homme qui vit sans aucune beauté, dans une réalité appauvrie. C’est une autre maladie de l’époque, cette volonté de supprimer tout facteur de trouble. On ne vit plus dans un monde de beauté, dans un monde où l’on rechercherait l’absolu, mais dans celui de l’esthétisation, du design, de l’arrangement : il faut que les choses soient plaisantes. On est dans du beau atmosphérique ou conceptuel. Je pense que la beauté s’enflamme dans le voisinage de la mort.

Il est vrai, cela étant dit, que la poésie, en cherchant le beau, veut se rendre utile. Et qu’elle falsifie. C’est d’ailleurs une des grandes questions éthiques qui, en tant qu’écrivain, me font réfléchir. Cela et les limites infrangibles, si elles existent, de l’écriture. Mais je pense qu’il faut écrire sans lâcheté, sans pudeur. Le pacte qui unit l’écrivain au lecteur est exactement celui d’une communauté sacrificielle, voire anthropophage. Ce que le lecteur m’offre en temps de lecture, en morceau de sa vie, je lui rends en lui donnant ma chair, mes muscles. Je prends le risque de mourir, puisqu’il prend celui de vivre.

ED : Si Georges Bataille vivait encore, s’il était parmi nous, lui auriez-vous fait lire votre texte ?

VD : Je me serais jeté à ses pieds comme on se jette sous un train. J’aurais adoré être son amant. A la question qu’est-ce que l’art ou la littérature, Bataille répond : “c’est exactement comme un cor de chasse”. Enorme silence après sa déclaration. Bataille, c’est celui qui a le mieux perforer les catégories du sensible, de la représentation, comme dans sa revue Documents, c’est celui qui a poussé la philosophie nietzschéenne à son plus haut point, quitte à la faire mourir.

ED : Une autre chose qui frappe dans votre nouvelle, ce sont les échanges entre Georges et son client qui sont marquants par leur brutalité. Est-ce que c’est une façon de nous dire que le monde dans lequel on est est un monde brutal ? Ou bien une façon de nous indiquer que le monde vers lequel nous nous dirigeons le sera ? 

J’ai toujours pensé que les écrivains étaient des prophètes. C’est pour cela que je me méfie de la littérature du réel.

VD : J’ai toujours pensé que les écrivains étaient des prophètes. C’est pour cela que je me méfie de la littérature du réel. Il me semble que la tentative littéraire du contemporain doit être de se placer à l’extrême, de pousser le matériau, son réel, vers le bout – ou le fond. La brutalité de Georges qui va jusqu’à pousser au suicide son client récalcitrant est un peu la toute-puissance de l’homme marchand qui n’a plus aucune transcendance, plus aucun rapport à l’altérité, c’est l’individu total. Il y a un totalitarisme du narcissisme actuel. Dès lors, les transactions qui nous dominent, sous toutes les formes possibles, y compris dans la gratuité, sont brutales. L’autre est supprimé, étant considéré non plus comme un Visage, au sens lévinassien, mais comme un barrage.

ED : D’ailleurs, ce personnage porte le nom de « Locquet », un nom qui peut faire penser au loquet, un dispositif permettant de verrouiller la porte, par exemple d’une chambre… Au regard de votre histoire, est-ce là une métaphore consciente ?

VD : Effectivement, il y a cette image du verrou, qui est omniprésente dans mon texte. Le premier verrou, c’est le corps, c’est notre première porte close. Georges va chercher dans des expériences extrêmes le moyen d’ouvrir sa propre porte, pour s’abstraire d’un matérialisme putride, corrosif. Georges est un vendeur d’assurances, son seul rapport à la beauté, c’est celui du bon alignement des cases, des grilles, de son tableur Excel. Les esclaves du tableur commettront un jour des attentats. On ne parle pas assez de la violence de ces logiciels, de l’aliénation qu’ils provoquent chez ceux qui les complètent, entretiennent leur bonne mise à jour. Des assassinats seront commis, bientôt. On tuera les patrons, les chefs de services, on se désexcelisera !

ED : Les relations sexuelles, systématiques, sont dans votre nouvelle toujours dénoncées…

VD : Ces relations ne sont pas dénoncées, mais décrites, mises en scène.

ED : Mais cette automaticité du rapport, sans désir, sans érotisme, peut constituer une forme de dénonciation, en tout cas, d’opposition, sous la forme justement de la farce. Pensez-vous que la génération actuelle, et celle qui vient, s’achemine vers ce genre de rapports ?

VD : Je pense que nous allons vers trois directions. Le prochain prolétariat du sexe, contrairement à l’ancien, le prolétariat sexuel 2.0, c’est un prolétariat tel que Georges Locquet l’incarne, celui de la surconsommation. On parlera bientôt de l’obésité sexuelle et ce sera un mal très grand. Être un ouvrier du sexe au sens de consommateur frénétique, boulimique, soi-disant hédoniste… Cela finira par donner lieu à des individus sans désirs véritables, uniquement technoguidés, sexuellement télécommandés.

La deuxième voie à mon avis, c’est l’abstinence. Et la troisième voie, celle que j’aimerais que l’espèce humaine suive, c’est celle d’une utopie sexuelle. Le renouveau d’une utopie du désir partagé. La naissance d’une nouvelle communauté humaine, déconstruite cette fois, qui pourrait être S/M, queer, genderfluid, homo, hétéro, qui serait celle du partage d’un désir, du partage d’un imaginaire, de la séduction, de la jouissance réelle. Je pense que ce genre de micro-communautés vivotera pendant quelques décennies, avant de s’éteindre. Les derniers représentants du don, de la charité. De l’amour, peut-être ?

ED : Comment avoir le temps de désirer aujourd’hui ? Certes tout est à portée de clic, mais nos vies sont devenues si chronophages…

VD : Il faut fuir, faire sécession, s’affranchir de son identité, de son corps. Je trouve la déconstruction magnifique, à condition qu’elle s’opère comme l’explosion d’un building. Je pense, en tout cas c’est mon cas, que nous avons besoin d’exil face à l’agonie, d’ombre, de silence. J’ai vécu, enfant, sur une île. La beauté était à portée des yeux, c’était la mer et le goût des mangues.

ED : Lorsqu’on lit Acide ou Les Petites Lèvres, on peut quand même percevoir une appétence pour les personnages particuliers. Sont-ils vraiment si différents de toi ?

VD : C’est la question piège. Evidemment je travaille à partir de mes propres obsessions. Tous mes personnages sont des figures caricaturées, hypertrophiées, obèses d’obsessions et de névroses que j’ai. Cela étant dit, l’écriture engage celui qui écrit dans une exploration de l’altérité. Toujours, en permanence. On écrit avec ce que l’on est, mais surtout avec ce que je ne suis pas.

J’ai toujours été fasciné par la misère, non pas sociale, celle que j’ai bien connue, mais humaine. Y compris dans mes relations amoureuses. Voilà pourquoi ces personnages me travaillent, pourquoi j’aime écrire sur des gens cruels, méchants, obsessionnels et pervers. Cela étant dit, je répète : je ne suis pas mes personnages. Heureusement.

ED : Tu entretiens donc une forme de familiarité avec tes personnages ?

VD : Ils me sont tous très familiers, ce sont des membres de ma famille, on pourrait le dire comme ça.

ED : Très belle réponse. Vrilles est une nouvelle collection de nouvelles. Quels sont les prochains textes ?

VD : La collection Vrilles a pour ambition de populariser le format court et de proposer au lecteur des textes percutants, contemporains et accessibles, de ramener le lectorat vers la littérature. Nous publierons un texte par mois. Avec Pierre Chardot, nous allons mettre l’accent sur les primo-romanciers, sur la nouvelle génération d’écrivains. Le prochain texte sera écrit par Clémentine Haenel, viendront ensuite Frédéric Perrot, Joséphine Tassy, John Jefferson Selve… et bien d’autres. On a hâte de partager cela avec les lecteurs. Vrilles, c’est une communauté littéraire. C’est la littérature vivante, en vie, celle qui est en train de se faire.