Zone Critique est allé à la rencontre du Hussard qui tient la chaîne YouTube éponyme. Son but est de faire découvrir la littérature au plus grand nombre en l’associant à des enjeux contemporains. Il ne se prive pas, dans les formats « Cours martiale » et « Bérézina », de pourfendre certains auteurs contemporains. Pour défendre sa vision du style et de la littérature, le Hussard a créé sa propre maison d’édition, La Giberne. Il revient, pour nous, sur la genèse de cette création.

La chaîne du Hussard

Après le succès d’une chaîne YouTube consacrée à la littérature, vous avez décidé de lancer une maison d’édition, La Giberne, et d’écrire un livre : Pays Réels, pourquoi ce geste ?

Le Hussard :  La logique de base était d’avoir une chaîne Youtube pour les amateurs de littérature, et de filer un petit coup de pouce aux gens qui souhaiteraient se remettre à lire ou à écrire. Petit à petit, la croissance de la chaîne aidant, l’objectif est aussi devenu d’amener des gens plus éloignés de la littérature, que ce soit à cause de leur parcours scolaire ou de leurs expériences professionnelles, à se reconnecter à cet héritage.

Partant de là, je me suis dit qu’il serait intéressant de poursuivre cette démarche en lançant des auteurs contemporains, et avant tout de jeunes auteurs. C’est pourquoi, j’ai créé La Giberne. Il s’agissait vraiment de sortir de la seule démarche de critique, positive ou négative, pour proposer une vision nouvelle de la littérature contemporaine. Et dans ce contexte, il m’a semblé logique d’ouvrir le bal, pour montrer l’exemple, avec mon premier roman : Pays Réels. 

Sur votre chaîne YouTube, vous êtes très critique de la production littéraire contemporaine. Mis à part les auteurs de la Giberne, qui sont les auteurs qui méritent d’être défendus selon vous aujourd’hui ? 

Il y a, en réalité, beaucoup d’auteurs contemporains qui trouvent grâce à mes yeux. En particulier, j’ai déjà dit que j’aimais beaucoup Tesson, parce que je crois qu’il se pose en auteur anti-moderne, ce qui est particulièrement rafraîchissant. Je m’explique : aujourd’hui, presque tout le monde a une vie rangée, moderne, tertiarisée. Tesson, lui, il a le courage de partir à l’aventure, de tout plaquer, et de le faire, en plus, en citant Héraclite ou Jünger. Camping sauvage et culture antique : il y a un mélange des genres que j’aime beaucoup chez lui !

Aujourd’hui, presque tout le monde a une vie rangée, moderne, tertiarisée. Tesson, lui, a le courage de partir à l’aventure, de tout plaquer, et de le faire, en plus, en citant Héraclite ou Jünger !

Dans un tout autre registre, j’aime également les écrivains issus de la francophonie : David Diop, Alain Mabanckou ou même Ahmadou Kourouma, qui est mort il y a quelques années, tous ont été des petites révélations lors de leurs découvertes.

Et puis en France, Éric Vuillard ou Aurélien Bellanger correspondent eux aussi, dans une certaine mesure, à la vision que je me fais de la littérature. Maintenant, est-ce que tous ces auteurs passeront à la postérité ? Je suis bien incapable de le dire, et seul le temps tranchera, quand nous ne serons plus là pour le voir.

Cependant, je crois effectivement qu’il y a tendanciellement moins de grands écrivains aujourd’hui qu’il y a quelques décennies. Cela s’explique par le fait que la pépinière de grands auteurs que constituaient les XIXe et XXe siècles reposait sur une excellence de l’enseignement français, qui tend aujourd’hui à se désagréger. Il suffit de voir l’état de l’éducation nationale pour (hélas) comprendre que la littérature, plus que jamais, est mise à rude épreuve.

De plus, le modèle économique de l’édition contemporaine est vieillissant. Pour survivre dans un contexte d’inflation des coûts de matière première et du nombre d’intermédiaires (libraires, diffuseurs, distributeurs, imprimeurs, commerciaux, éditeurs, auteurs…), les maisons sortent beaucoup trop de textes. C’est une course en avant : il faut publier toujours plus pour occuper les vitrines des libraires et les émissions de promotion, afin de survivre. Mais il n’y a pas un Balzac nouveau tous les ans, ni un Céline tous les trimestres ! On en est donc réduit à publier des livres en-deçà des anciens standards de qualité. En somme, la chaîne du livre est construite de telle sorte que nous sommes aujourd’hui dans une situation paradoxale : il y a à la fois trop de livres qui sont produits, et trop peu de bons livres. Et même pour ces bons livres subsistants : il faut encore espérer qu’ils ressortent au milieu du raz-de-marée de la rentrée littéraire, ce qui n’est pas une mince affaire !

À La Giberne notre idée maîtresse, c’est de publier peu de textes pour travailler dessus en profondeur, en lien avec l’auteur et en prenant le temps de peaufiner chaque détail, tout en sortant des canaux de distribution classiques afin de réduire les coûts et de pouvoir rémunérer tous les intervenants à leur juste valeur. Aujourd’hui, sur un livre à 10 euros, l’auteur touche parfois moins de 50 centimes ! Il est temps de proposer une alternative à cette situation.

En nous passant de diffuseur/distributeur, en imprimant à la demande et en promouvant notre catalogue sur les réseaux sociaux, nous cherchons à renouveler (un peu) le modèle économique du livre. En outre, cela permet d’inscrire la commercialisation du titre dans la durée, et d’offrir à notre catalogue une durée de vie plus étendue que la simple rentrée littéraire. À La Giberne, peu importe si vous découvrez Pays Réels dans dix ans, il sera toujours disponible. Dans les grandes maisons, aujourd’hui, trouver un livre d’il y a trois ans relève parfois déjà du défi.

Justement parlons précisément de ce premier texte publié à La Giberne : Pays Réels. C’est un livre qui ressuscite le roman d’aventure et d’espionnage. On a l’impression d’y retrouver un souffle hugolien, avec en fond de l’Alexandre Dumas et du Jules Verne. Est-ce que ce sont des influences volontaires ? Avez-vous envie de redonner ses lettres de noblesse à un genre littéraire tombé en désuétude – ou en disgrâce ? 

En effet, j’ai une forme de fascination pour Victor Hugo, ce n’est pas un secret (rires). Je parle ici de style, bien sûr, car en matière de politique, je suis loin de suivre Hugo sur toute la ligne. Je suis un peu comme André Gide quand on lui a demandé de citer le plus grand poète français, et qu’il avait répondu : “Victor Hugo, hélas”. En politique, Hugo s’est beaucoup fourvoyé ; mais pour ce qui est du littéraire proprement dit, c’est le maître absolu, et oui, je pense que c’est un écrivain de génie.

Pour moi, la marque de La Giberne, ça doit aussi être avant tout le plaisir du texte. Il faut que ce soit agréable à lire, que ça coule, que ça régale !

Pour ce qui est de vos autres suppositions, je n’ai pas conscientisé l’influence de Dumas durant mon travail d’écriture, mais les thématiques de cape, d’épées et d’espionnage me sont chères, je ne vais pas dire le contraire. En revanche, pour Jules Verne ça n’a pas compté du tout, même si je l’aime beaucoup : c’est plutôt une lecture de mon enfance. Il faudrait aussi ajouter le Guépard de Tomasi di Lampedusa et Le Grand Paris, d’Aurélien Bellanger à la liste de mes inspirations.

Sur la forme, j’avais envie de faire de ce roman un véritable page turner.  Pour moi, la marque de La Giberne, ça doit aussi être avant tout le plaisir du texte. Il faut que ce soit agréable à lire, que ça coule, que ça régale ! Et puis que ça évoque les sujets de l’époque aussi, ça c’est important ! J’aimerais beaucoup publier des livres qui se penchent sur des thèmes pas ou peu abordés dans la grande littérature : les progrès de l’aérospatial, le Grand Paris, l’IA, le jeu vidéo, les mouvements migratoires, l’évolution des démocraties, les réseaux sociaux… La liste est longue.

Votre roman est également émaillé de réflexions politiques et traite de la délicate question de l’exercice du pouvoir. C’est un texte machiavélien plutôt que machiavélique. Ce roman a-t-il une ambition philosophique ?

C’est intéressant comme question. Très intéressant, même. Tout bon roman comprend pour moi une dimension philosophique. Il y a plus de philosophie dans un grand roman que dans certains traités de philosophie. Pays Réels est un roman qui s’est construit, à la base, avec l’idée qu’un affrontement est inéluctable en France, étant donné les tensions du pays et notre héritage politique (nous sommes le pays de la Révolution française, tout de même). Et petit à petit, au fur et à mesure de mon processus d’écriture, ce texte s’est nuancé et nourri à la fois de mes lectures et de mon expérience personnelle, qui est venue travailler ce matériau de base. C’est donc aussi un texte qui peut se lire comme un reflet de mon cheminement personnel ; et je crois que c’est une de ses forces d’ailleurs.

Dans le roman, le personnage de Victor commence son parcours en voulant améliorer le monde, mais s’aperçoit, rapidement, que la politique est une impasse. Mais petit à petit, il dépasse cette déception initiale, et en vient à composer, dans une certaine mesure, avec une odieuse réalité politique, ce qui lui permet d’éviter l’écueil du  nihilisme ou du refus de toute action. Mais c’est un apprentissage délicat, dont je voulais rendre compte.

Votre chaîne YouTube n’hésite pas à s’emparer de thèmes politiques, et vous avez souvent une verve de pamphlétaire. Pourtant, votre roman est plus mesuré, presque plus sage, et surtout beaucoup moins idéologique. Pourquoi ce choix ? 

À vrai dire, 80% des vidéos du « Hussard » sont des vidéos « pour ». Il y a effectivement 15 à 20% de « clashs » comme on dit, mais ce n’est pas ma marque de fabrique.

Pour répondre à votre question, YouTube est pour moi un média beaucoup plus immédiat et périssable que la littérature. Dans 500 ans, on lira encore Homère ou Hugo, mais je serais très étonné que des gens regardent des vidéos du Hussard. Vous savez, la littérature est un combat contre la postérité. L’écrivain cherche toujours – peut-être à tort ? – à obtenir une forme de postérité absolue, tandis que mon personnage sur la chaîne du Hussard adopte plus volontiers une position de bateleur. Il essaie d’amuser les gens et de les amener, quitte à les rudoyer, à la grande culture : c’est un passeur de savoir, dont la tâche est de mettre les gens à la lecture… Mais le fond de l’affaire, c’est la lecture elle-même, pas la blague ! Et c’est toute la différence entre les deux aspects de mon activité. Je suis à la fois un passeur de textes et un créateur de textes ; et je fais la distinction entre les deux.

Pays réels est aussi le roman du conflit. Il est structuré autour de scènes de guerre où l’héroïsme occupe une part importante. Par ailleurs, contrairement à la plupart des romans contemporains, votre récit déplore la violence à demi-mots, mais semble plus proche de l’exaltation d’un Jünger que du pacifisme d’un Genevoix. Qu’est-ce qui vous intéresse dans la peinture de ces scènes de conflit ? De même, au-delà du souffle épique, pensez-vous que la guerre est un motif littéraire qui n’est pas assez exploité ? 

Effectivement je pense que la guerre est le grand motif littéraire. Si l’on y réfléchit bien, la littérature européenne naît avec Homère et donc avec des scènes de guerres omniprésentes qui se retrouvent, bien plus tard, dans tous les grands romans français du XIXe siècle. Même dans L’Education sentimentale, qui se veut être un roman sur rien, on trouve des scènes d’insurrection parisienne en 1848. Je pense qu’on ne peut pas faire un roman d’action sans scènes de conflit (ou alors c’est un défi en soi). La bataille est un lieu d’exaltation romanesque ; et la scène de combat offre des possibilités de narration totales : tout est possible dans un combat, et c’est aussi plaisant à narrer pour l’auteur que palpitant à découvrir pour le lecteur. Alors pourquoi se priver ?

Maintenant, je suis loin d’être un bagarreur acharné, et le rapport ambivalent de Jünger à la guerre me parle. Jünger, c’est un homme d’un grand courage physique, mais qui savait aussi épargner le sang. En 1945, sur le front de l’Ouest, il avait demandé à ses hommes de se rendre aux Américains sans combattre, en dépit de son patriotisme, sachant la guerre perdue. En somme, il savait distinguer les instants où il fallait se battre et ceux où il fallait y renoncer. Plus encore, il savait trouver une transcendance dans l’action guerrière sans se laisser enivrer par la violence : c’est de cet équilibre, en creux, que je voulais faire l’apologie dans mon texte.

Pays réels possède également une forme dimension satirique. La presse et sa prétendue liberté sont caricaturées, au même titre que le milieu universitaire ou la ferveur religieuse. Est-ce votre désir de concilier un récit épique avec un ton comique ? 

Je dirais qu’il s’agit plutôt d’une critique du milieu estudiantin que d’une critique de l’université, même si les deux sont très liés, je le reconnais (rires). Pour ce qui est du style, c’était voulu. Avec le roman épique, j’avais cette hantise du ton pontifiant et professoral. Dans la vie, j’aime voir le ridicule des choses, l’absurdité dans toutes les situations. Je finissais mes études quand j’ai commencé la rédaction de ce roman, et j’avais envie de parler des bêtises que je pouvais côtoyer dans le monde universitaire. C’était assez cathartique d’ailleurs (rires).

Mais l’université n’est pas la seule dont on rit dans Pays Réels : la presse, le pouvoir, les élections, les enfants de la bourgeoisie… Même l’armée en prend (et c’est le cas de le dire) pour son grade. Après tout, le personnage de Desroziers est parfois à contre-temps avec son époque, et cela se ressent dans le roman.

Enfin, pour clore cet entretien, pourriez-vous nous présenter les prochains titres publiés au sein de La Giberne ? 

Nous avons déjà publié un autre texte en novembre 2023, Les Saints d’esprit, par Jules Lacroix. C’est un roman épistolaire d’une écriture ciselée, qui raconte les déboires d’un séducteur interné pour le meurtre présumé de deux maîtresses, et qui clame son innocence. Est-il coupable ? Est-il innocent ? Est-ce vraiment la question ? Sortira-t-il de l’asile ? Dans un monde où les tensions genrées se font vivement sentir, et où la parole se libère sur les abus masculins, ce texte cherche à mettre en perspective l’évolution de la société et les comportements de certains séducteurs. C’est un premier roman extrêmement prometteur, et je suis content que nous ayons pu mettre la barre si haute si vite !

Courant mars 2024, nous allons également faire paraître un roman de fantasy très original, à mi-chemin entre Tolkien, Gagner la guerre de Jaworski et Ulysse de James Joyce… Tout un programme ! Mais je n’en dit pas plus pour ne pas gâcher la surprise !

Et pour la suite, de nombreux projets sont déjà en préparation ! Romans historiques sur l’invasion de la Chine par le Japon, récits de science-fiction dans un Paris futuriste, romans de chevalerie en clin d’œil à l’œuvre de Dante… il y en aura pour tous les (bons) goûts ! Et puis Mathias Kessler reviendra, bien sûr ! Je travaille justement sur la dernière version d’un roman satirique qui se déroule dans le monde de l’édition : les lecteurs de Pays Réels, s’ils ont aimé les passages les plus comiques dont nous parlions avant, ne seront pas déçus. Parole de Hussard !