« Bloquer le pays », au travers de l’art : grand projet que le cinéma, la photographie ou la littérature semblent tout à fait capables d’accompagner. D’autres pratiques, en revanche, restent perçues comme essentiellement conservatrices, ou du moins éloignées de toute préoccupation militante. Si en musique, le rôle politique du jazz, du rock ou du rap a largement été commenté, qu’en est-il de leur vieil oncle, classique et bourgeois, qu’est l’opéra ? Petit examen critique avec 7 Minutes, un « opéra syndical » composé par Giorgio Battistelli.

Dans l’usine de lingerie Lejaby à Yssingeaux en Haute-Loire, dix ouvrières sont en grève pour conserver leurs emplois menacés de délocalisation. Les dix femmes bloquent le site depuis des jours et semblent prêtes à aller jusqu’au bout. Une onzième, déléguée syndicale en discussion depuis des heures avec les « cravates » de l’étage supérieur, arrive avec un accord en poche : toutes pourront conserver leur emploi, à condition de renoncer à sept minutes de pause par jour. Le débat s’engage alors… en chantant.

Créé en 2019 à l’Opéra de Nancy, et repris la saison dernière à l’Opéra National de Lyon, 7 Minutes de Giorgio Battistelli est un « opéra syndical » sous-titré « conseil d’usine ». Son livret, adaptant la pièce du même nom de Stefano Massini, interroge directement la pratique du blocage ouvrier : pourquoi se mettre en grève, comment conserver une solidarité entre camarades de lutte, et jusqu’où aller au nom de ses convictions.

Mettre en musique le blocage d’une usine n’est pas une mince affaire, tant le monde lyrique semble éloigné de telles revendications. Soirées mondaines, dorures du Palais Garnier, entractes arrosés de champagne… l’opéra reste arrimé, du moins dans l’inconscient collectif, à la bourgeoisie qui porte des robes de soirées et des monocles. Pourtant, les questions sociales ont historiquement nourri le genre, à l’instar de la Bohème de Giaccomo Puccini, qui illustrait déjà la lutte des classes en 1896, notamment au travers des personnages du peintre Rodolfo et de la couturière Mimì. Au cours du siècle suivant, de nombreuses expérimentations feront de l’opéra un genre engagé, si ce n’est révolutionnaire, telles que le Mahagonny de Kurt Weill, interdit par les Nazis dès leur accession au pouvoir, ou Al gran sole carico d’amore de Luigi Nono, mettant en musique les textes révolutionnaires de Louise Michel et Lénine, entre autres.

Rapprocher le quatrième mur

La reprise de 7 Minutes à l’Opéra de Lyon l’année dernière a été marq...