Il faut se méfier du soleil, c’est un truc que j’ai appris, petit. 

Règlement : Ne pas le fixer trop longtemps, droit dans l’œil. Attention à la perte de vue. Il faut bien se couvrir, peau trop blanche qui voit rouge. S’enduire cinq fois par jour d’une crème qui colle. J’observe sur la plage ces hommes-femmes, ridicules et impressionnants, tous équipés d’une combinaison, avec du bleu sur le visage. Ils ont la protection maximale. Il faut se méfier du soleil, mais aussi partir à sa recherche. Jusqu’au bout du monde, direction le Grand Sud, même en hiver. Revenir avec des traces caramel, qui débordent sous le t-shirt. Avez-vous vu mon corps d’or ? Non pas celui des peaux séchées, celles des cagoles et autres miséreux qu’on regarde rôtir, un peu de loin, un peu par pitié, un peu pour se moquer. Non, ma peau à moi est très consentante ; peau d’urbain. Elle est une affirmation au monde, un témoignage social : j’appartiens au farniente, je m’offre aux thérapies héliotropiques. Juillettiste ou aoûtien ! Je suis libre. J’ai le droit, le pouvoir, j’ai l’argent et le privilège du soleil, quand je veux. 
C’est pas supportable cette chaleur, quand même. Ça sue, ça sue, et ça pue partout, ça trempe les draps, le sol et les métro. À croire que les hommes sont devenus liquides. Le soleil tape sur la ville, il tape sur les campagnes, il tape à la plage comme dans les banlieues. Le soleil rend nerveux parce qu’il ressemble à un compte à rebours. Tic, tac, tic, tac. Il faut qu’on s’habitue aux canicules, aux grandes chaleurs. Faudrait que le gouvernement construise des piscines géantes. Problème : y’a presque plus d’eau pour les remplir. Faudrait que ça s’assombrisse un peu. C’est une dark-romance, une relation bien toxique. Je remets mes lunettes de soleil, et je nous regarde crever de chaud.

Depuis toujours, le soleil est une figure double. Il chauffe, réconforte, mais il brûle aussi. Divinité protectrice, symbole d’un monde devenu fou, et de nos angoisses climatiques, il habite les récits, rôde dans les films, éclaire les symptômes du mal de notre époque.

C’est cette tension-là qu’explore notre nouveau dossier “Crever de chaud” : un ensemble d’articles, d’entretiens et d’enquêtes pour penser la chaleur comme donnée esthétique, politique, affective, et existentielle.

Dans un article magistral, Henda Fellous revient sur ce silence brûlant au cœur de la langue camusienne, sur cette chaleur sans issue qui précède et accompagne le crime. Elle poursuit avec Marguerite Duras, où la chaleur devient ambiance, condition, langueur, point de rupture : de l’Inde à l’Espagne, les paysages brûlants qui structurent les intrigues, désorientent les rapports et enfièvrent les consciences.

Mais le soleil constitue aussi une esthétique de la folie et de l’effondrement, en particulier au cinéma. Dans son texte, Manon Grandières revient sur la franchise Mad Max, et en particulier Fury Road, où le désert n’est plus seulement un décor post-apocalyptique, mais un enfer chorégraphique : la fournaise comme moteur narratif, la poussière comme langage, la vitesse comme seule réponse possible au chaos.

Plus optimiste, Margaux Cassan, autrice d’Ultra Violet, nous propose, dans un entretien, une petite histoire du soleil, de la peau qui change de couleur et de notre amour – parfois périlleux – de la métamorphose.

Clémentine Haenel, autrice de Soleil Cou Coupé elle, nous confie son vertige devant les destinations touristiques, ces lieux trop exposés où l’on finit par se dissoudre.

Nous nous intéressons également à l’exposition « La terre retombe au soleil », à Malakoff (jusqu’au 19 juillet), qui rassemble douze jeunes plasticien·nes, et interroge l’omniprésence des discours collapsologiques aujourd’hui.

Enfin, nous terminons ce dossier avec deux entretiens. Celui de Victor Jestin, dont le premier roman s’intitule La Chaleur. Et celui de François-Henri Désérable, pour explorer cette simple question : que fait la chaleur à l’écriture ?

Bonnes lectures !

  • Crédit photo : ©Clémentine Schneidermann.