Dans le train qui me mène à Arcachon, où je rejoins mes parents pour quelques jours de répit, je prends mon téléphone et décide enfin de me confronter à la réalité : Paramètres -> Temps d’écran.

Le verdict tombe, il est paradoxalement sans appel, je passe beaucoup trop de temps avec toi, privée du reste du monde. 

5h30 par jour à te contempler, ou pour le dire moins poétiquement, à laisser passivement tes images me submerger. J’ai beau faire mes calculs, essayer d’atténuer la nouvelle, cela fait toujours plus de 20% de mon temps, presque 3 mois dans l’année. Temps d’écran… Tant d’écrans.

J’ai l’impression de perdre pied, de dégringoler. J’essaie de me ressaisir, de me rappeler ce que tu m’as apporté. Mais je réalise que sur l’année passée, le bilan est bien maigre. 

Tu as été source d’anxiété, responsable de nombreuses insomnies et pourtant je t’ai de plus en plus chéri. Tu as créé l’illusion que je ne pouvais me passer de toi, que je raterais forcément une information indispensable si je te quittais pour quelques heures, que dis-je, quelques minutes.

Tu m’as profondément peinée lorsque la haine du monde s’est déversée impunément dans tes bras. J’étais comme trahie par ce que je croyais être le plus fidèle de mes amis. Et puis, ce premier jour où je me suis autorisée à te délaisser, j’ai su tout le mal que tu me causais.

J’avais soudain envie de stopper ce cercle vicieux, envie d’arrêter de croire que ce monde luisant était toujours mieux que celui plus authentique qui m’entourait. 

Je me demandais ce que j’aurais pu faire pour m’extirper de cet enfer. 

Je repensais à ces fins de journée où j’attendais que mon cerveau épuisé prenne la décision d’arrêter. 

Combien de fois avais-je dépassé l’horaire fixé ? À combien d’images traumatisantes avais-je été confrontée ? 

Je réalisais à ce moment à quel point la relation que j’entretenais avec cet objet qui ne me quittait jamais pouvait être ambigüe. Moi qui avais toujours peur de rater quelque chose, la « fomo »*, ce faux mot qui me faisait persister, me convaincre que je ne devais surtout pas me déconnecter, j’étais sans doute mille fois passée à côté.

À côté de gens à qui j’aurais pu parler, au moins sourire. 

À côté de ruelles que je ne reverrais jamais et qui m’auraient sans doute inspirée. 

À côté de tous ces petits hasards du quotidien qui nécessitent une certaine présence au monde, qu’il est impossible de saisir les yeux rivés sur son clavier.

Dans tout ce flou, j’avais néanmoins un premier soulagement, celui de mettre le doigt sur mes maux, d’avoir le courage de me défaire de ce fardeau. Je me sentais comme sur la fin d’une relation toxique. Celles qui éteignent à petit feu, qui promettent monts et merveilles. Celles dont parfois jamais on ne se réveille. Celles qui semblent radieuses mais n’offrent rien de concret. Aucune stabilité, aucune promesse d’avenir, aucun projet à construire. 

Au lieu de cela, elle m’avait progressivement vidée de toute mon énergie. 

Au jeu permanent de la comparaison et du paraître, il était temps d’arrêter de chercher à résoudre une équation impossible où la vraie vie et ses aléas l’emporterait sur la version parfaite du monde digitalisé. 

Ce trajet en train, où pour la première fois, je prenais le temps de regarder les paysages défiler, me fit réaliser à quel point cet outil avait pu me porter préjudice, combien je lui avais fait confiance pour résoudre tous mes pro...