Autrice, réalisatrice et scénariste franco-mauricienne, Kalindi Ramphul cultive l’art de raconter les ruptures comme des renaissances. Dans Les jours mauves comme dans Greta et Marguerite, elle explore avec humour et tendresse les zones floues du deuil, du secret familial et de la reconstruction. Entre road-trips absurdes et rencontres improbables, Zone Critique est allé à sa rencontre pour parler pauses, Finlande, et bus bariolés mais aussi pour lui demander: est-ce qu’on peut vraiment tout plaquer sans perdre pied ? Un entretien par Jasmin Mandola.

Jasmin Mandola: Dans Les jours mauves, Indira entreprend un road-trip un peu loufoque pour accomplir la dernière volonté de son père. Comment avez-vous conçu cette forme de voyage-rupture, mélange d’humour et de deuil, pour permettre à votre héroïne de se redécouvrir et d’établir une relation plus intime avec son père?

Kalindi Ramphul : Avant toute chose, sachez que j’ai passé des années à me creuser la tête pour trouver un bon sujet de roman. Et puis, il y a plus de cinq ans, mon père a eu la brillante idée de mourir de manière dramatique, entouré d’une palanquée d’amis farfelus, ce qui m’a immédiatement inspirée. Les grandes lignes des Jours mauves sont ainsi nées. Pour ce qui est de la forme du texte, somme tout classique puisque le récit est linéaire et seulement entrecoupé de flashbacks, elle s’est rapidement imposée à moi comme étant la configuration la plus naturelle pour révéler, chapitre après chapitre, les secrets et tourments enfouis dans le cœur de mes personnages. Car ce voyage est prétexte, avant toute chose, à l’exploration des tempêtes intérieures de chacun, et notamment de mon héroïne, dont la réconciliation post-mortem avec son père tient de l’absolue nécessité. J’ai donc écrit comme j’avais l’habitude de le faire à l’époque où j’étais journaliste, en oscillant sans cesse entre sarcasme, gouaille légère et sérieux, pour amuser et divertir autant qu’informer mes lecteurs sur la vraie nature de mes voyageurs. 

Jasmin Mandola: Le choix d’un autobus coloré, avec des personnages hauts en couleur, donne à ce road-trip une dimension presque théâtrale. Pourquoi avoir choisi ce microcosme ambulant pour aborder les thèmes du deuil, du secret familial et de la reconstruction personnelle

Kalindi Ramphul : Le road-trip est un procédé classique mais néanmoins redoutable pour faire transiter des personnages de manière géographique et intérieure à la fois. Par ailleurs, voyager de Paris à Luchon pour rendre un dernier hommage à mon père a été un vrai projet, que j’ai initié en 2020. Malheureusement, c’est l’année où le covid nous est tombé dessus, et il a alors fallu renoncer à ce road-trip. Les jours mauves est donc un voyage imaginaire. En revanche, le mini-bestiaire du bus est composé, pour la majeure partie, de gens qui ont déjà croisé ma route ou qui habitent pleinement mon existence depuis des années. Il y a par exemple ma mère, ma meilleure amie, mon ex-conjoint et certains copains de mon père. Je n’ai ainsi plus eu qu’à me baisser pour récolter quelques idées loufoques. Je ne me suis contentée ensuite que de grossir les traits de mes voyageurs, de pousser les curseurs de leurs incongruités. D’autres personnages ont été créés de toute pièce, et ce sont d’ailleurs mes préférés. Je crois que l’imaginaire est définitivement mon endroit de plaisir et de sécurité.

Jasmin Mandola: Dans Greta et Marguerite, il y a deux départs radicalement différents: Romuald quitte tout pour Greta, puis la tragédie le rattrape et entraîne une co-quête entre deux femmes. Comment avez-vous pensé le voyage intérieur et extérieur des personnages après cette rupture existentielle, et quel rôle joue la Finlande comme cadre de cette quête

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