ENTRETIEN. Serge Marquis est l’un des spécialistes mondiaux de la question de la santé au travail. Il revendique volontiers le terme de développement personnel pour qualifier ses essais. Nous avons voulu évoquer avec lui la question de l’utilisation de méthodes de développement personnel en entreprise pour aider au bien être des salariés : instrumentalisation ou aide précieuse pour les salariés ? La réponse dans cet entretien.
Est ce que vous vous reconnaissez dans le terme de développement personnel ? Est-ce que c’est une étiquette ou une définition qui convient à votre travail ? Et pourquoi ?
Le mot étiquette, je le trouve difficile à accueillir, parce qu’avec ce mot on vient placer quelqu’un dans une catégorie avec ce que notre cerveau peut imaginer par rapport à cette catégorie. C’est un mot avec lequel j’ai de la difficulté, « étiquette », parce que nous ne sommes pas des étiquettes, nous sommes la capacité d’être présents.
Le livre que j’ai écrit il y a plusieurs années : Pensouillard le Hamster (en France : On est foutu, on pense toujours trop) avait en sous-titre Petit traité de décroissance personnelle : le sens contraire de ce qu’on appelle développement personnel, mais allons quand même dans l’univers du développement personnel quelques instants.
A mes humbles yeux, le développement personnel, c’est la possibilité qu’a un être humain de développer son potentiel, ses capacités, ses ressources, ses talents. Les capacités de créer, d’aimer, de s’émerveiller,etc. constituent un potentiel que l’être humain peut développer. Donc si on définit le développement personnel comme la possibilité qu’a un être humain de développer son potentiel, oui. Mais le cœur de tout ce potentiel-là, c’est la capacité d’être présent au présent. Je ne peux pas m’émerveiller si je ne suis pas présent. Je ne peux pas aimer si je ne suis pas présent. Donc à la base du potentiel, il y a la capacité à être présent. Et pour être présent ou présente, il faut décroître, c’est-à-dire se débarrasser de toutes les pelures auxquelles on s’identifie. (…) Par exemple chez l’enfant dire “je suis nul”, c’est une fausse identité. C’est de ces fausses identités là dont il est possible de prendre conscience pour décroître et libérer la capacité d’être présent au présent. Si on y tient, on peut classer ça dans le grand espace du développement personnel, le fait que chaque être humain puisse découvrir la capacité d’être présente ou présente. Se libérer de ce qui nous empêche d’être présent.e, on pourrait appeler ça du développement personnel. Donc dans ce sens-là, oui, le travail que je fais depuis des années est une contribution à la possibilité pour chaque être humain de développer son potentiel et la possibilité pour chaque être humain d’être présent.e.
J’ai fait des études de médecine, et la chose essentielle que j’ai retenue était “comment peut-on apaiser la souffrance humaine ?”. C’est ça qui était et qui est toujours le cadre du travail que je fais. Ce n’est pas pour devenir plus, plus, plus avoir plus plus plus… Ce n’est pas du tout dans ce sens-là. Parce que cette orientation renferme un piège énorme. Dès qu’on est dans la quête du plus, plus, plus, la souffrance s’installe parce que la quête du plus, plus, plus, n’a pas de fin et qu’elle est accompagnée d’une comparaison avec l’autre qui nécessairement entraîne jugements, dénigrements et conflits.
Vous qui avez travaillé sur la question du burn out en entreprise, quelles sont les différentes causes du burn out que vous avez identifié ? Et qu’est ce que le burn out pour vous ?
Pendant plusieurs années, je répondais à cette question par la phrase suivante : C’est une saturation des capacités d’adaptation de l’individu. Arrive un moment où un individu n’est plus capable de répondre à toutes les demandes qui lui sont faites. Ces demandes-là sont de deux ordres : des demandes externes, celles d’autrui, et des demandes internes, celles que l’individu se fait à lui-même pour se donner l’impression qu’il est quelqu’un, qu’il a une valeur, qu’il existe. Des attentes que l’individu génère à son propre sujet. Il y a, bien sûr, les attentes accrues dans les entreprises où travaille l’homme moderne. Ces attentes sont apparues à partir du moment où l’être humain a davantage utilisé sa tête que son corps pour gagner sa vie. Au début du siècle dernier, 7% des gens gagnaient leur vie en se servant principalement de leur tête. Les attentes concernaient la force physique, les habilités manuelles… Nous sommes devant l’une des plus grandes révolutions de l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui, 75 % des gens gagnent leur vie en se servant principalement de leur tête.
Il y avait une croyance, qui est encore présente, et qui est que le corps a des limites mais que le cerveau n’en n’a pas. Après avoir soulevé une charge pendant un certain temps, la fatigue est ressentie et la douleur apparaît dans les muscles. On a créé l’illusion que le cerveau lui, n’avait pas de limites. Et qu’au contraire, il était possible d’aller toujours plus loin. C’est fascinant parce que le cerveau, c’est aussi de la matière, et arrive un moment où il ne peut plus soutenir la charge qu’il doit porter. Ses capacités d’adaptation sont saturées.
Des symptômes apparaissent dans trois sphères. La sphère physique, qu’il ne faut pas négliger. La tension étant trop forte, elle peut se manifester physiquement. La fatigue, les problèmes de santé qui apparaissent, les maux de dos, les infections à répétition…
La deuxième est la sphère intellectuelle. C’est une personne qui va commencer à avoir des problèmes d’attention, de mémoire, de vigilance, de concentration… Chez des gens qui n’en avaient pas auparavant.
La troisième sphère, c’est l’émotivo-relationnelle. C’est quand les gens commencent à avoir de l’irritabilité, de l’impatience, faire des colères, “péter un câble”, etc. (…) Quand ces symptômes apparaissent, les personnes dans l’environnement manifestent à la personne qui est en train de vivre ça, que quelque chose est en train de se passer. En général les gens répondent, “c’est seulement une courte période, je vais passer au travers”. Ils essaient de continuer à travailler davantage pour arriver à passer au travers, ce qui ne fait que les plonger davantage dans le burn out.
Il y a quatres étapes dans le burn out, je les emprunte à Monsieur Freudenberger qui est le premier à avoir travaillé sur ce sujet.
La première, ce sont les attentes irréalistes. Quelqu’un qui essaie de répondre à des attentes irréalistes placées sur ses épaules l’entreprise ou qui, piégé par son propre ego, essaie sans fin de devenir absolument exceptionnel, extraordinaire, etc.
La deuxième étape, c’est le plafonnement. La personne travaille plus tard le soir, les week end mais elle n’arrive toujours pas à atteindre ses objectifs. Là commencent à apparaître les premiers symptômes : consommation de substances chimiques, beaucoup plus de café par exemple, pour pouvoir être plus performant. Et en fin de journée, pour se détendre, de l’alcool.
La troisième étape, c’est la désillusion. La personne a beaucoup travaillé, mais elle se rend compte qu’elle n’y arrive pas. C’est là qu’elle commence à “péter un câble”, et que les amis, la famille, les collègues, commencent à dire “fais quelque chose on ne te reconnaît plus”. Là, les gens ont besoin d’aide mais, souvent, la refusent.
La quatrième étape, c’est la démoralisation. C’est l’étape où les symptômes de dépression apparaissent. Il y a une perte totale de confiance en soi, associée parfois à la consommation de substances qui s’est accrue de façon terrible. Les gens ont besoin d’une aide professionnelle pour s’en sortir. Ils ont besoin qu’on les aide à rétablir les priorités et mieux comprendre le cercle infernal dans lequel ils sont malheureusement embarqués.
Est-ce que vous pourriez nous dire pourquoi la question de la reconnaissance du salarié est si importante ?
Il faut d’abord expliquer ceci : une reconnaissance ce n’est pas de la flatterie, ça ne s’adresse pas à l’ego. L’ego cherche constamment la reconnaissance mais la vér...