Dans Carcoma, ce livre castillan traduit par Isabelle Gugnon, Layla Martínez revisite le genre gothique qu’elle colore de noirceur, d’horrifique, et d’une goutte de glauque qui se dissout dans le texte et déteint sous la chaleur brûlante d’une Espagne de légendes arides et ombreuses. Elle s’inspire du passé de sa famille pour ce premier roman féminin et féministe où sorcellerie et folie dansent une valse sombre et dangereuse. Les âges cohabitent, présent et passé entrant en résonance dans une bâtisse hantée par les souvenirs et les jalousies d’hier tandis que deux générations narrent le récit d’une lignée.

Aux origines de la sorcellerie misandre

La grand-mère raconte l’histoire de ses parents, de son père, « maquereau » vénéneux et violent, de sa mère qui crut ses belles paroles avant de se rebeller, la Guerre d’Espagne lui offrant l’opportunité de gagner sa liberté, opportunité dont elle n’osait plus rêver. La maison où il l’a installée après leur mariage l’avale, l’absorbe tout entier et le digère, donnant le la pour ce qui adviendra année après année. Le bébé naît, toujours dédaigné par sa mère qui l’exècre et conspire, lui transmettant cette tendance à la fomentation. 

Dans Carcoma, les adolescentes se laissent faire, tombent amoureuses trop facilement, en paient les conséquences avant de les faire payer à leur tour. Les murs craquent, assoiffés, les meubles se déplacent et murmurent, les planchers s’ébrouent, des ombres se glissent sous les lits puis en sortent, d’autres vont de la porte d’entrée au trou noir de l’armoire, puis retour, cycle sans fin, malédiction peut-être imputable aux sorts noués. 

« En me concentrant je pouvais entendre les pas qui montaient l’escalier la poignée qui crissait le grincement des gonds qui tournaient. J’ai senti qu’un des coins du lit s’affaissait légèrement, à croire que quelqu’un s’y était assis en imprimant tout son poids. J’ai ouvert les yeux et me suis relevée brusquement pour chercher ma mère, mais je n’ai vu que des cheveux noirs disparaître sous le lit. »

La haine et la rancœur suintent de chacune des pages de ce roman sinistre.

La dernière-née pour se venger 

La petite-fille vient quant à elle de sortir de garde à vue et de revenir de Madrid, pour se retrouver à nouveau enfermée dans ce petit village de Castille, dans ces ruelles malsaines où elle a grandi, où tout se sait, où les voix fourmillent et grouillent aussi sûrement que les carcomas du titre – vers à bois ayant donné son second sens au mot qui désigne aussi une préoccupation ne laissant aucun répit, qui ronge et grignote. 

« La vieille nous observait depuis le palier, gardant le silence, de même que tout dans l...