« Entre le passé immédiat et le présent atroce, je me surprends à me cacher derrière mes mots. »

La littérature contemporaine explore de plus en plus les recoins oubliés de l’intime, mais il est un territoire encore trop peu arpenté, celui des premières semaines après l’accouchement. Cette période, pourtant universelle pour celles qui décident d’enfanter, est encore enveloppée d’un récit idéalisé. On parle d’épanouissement, d’instinct ou encore de miracle. Peu d’autrices osent dire ce que cela coûte, intérieurement et physiquement, de donner la vie. Avec Milk-bar, Szilvia Molnar déchire ce voile avec une honnêteté brutale. Le roman s’inscrit dans une nouvelle génération de récits qui refusent de travestir la maternité pour lui rendre justice.

Défaire le mythe de la mère épanouie

Le paradoxe de la naissance, c’est qu’elle est à la fois l’un des événements les plus banals et les plus bouleversants qui soient. Pourtant, une fois l’enfant né, le discours dominant impose un sentiment d’accomplissement. Il faut être heureuse, reconnaissante et émerveillée. Ce récit consensuel nie les déséquilibres émotionnels qui surgissent lorsque le corps, les émotions et les repères explosent en vol. Or, toutes les mères n’aiment pas leur enfant instantanément. Aimer n’est pas toujours instinctif malgré un certain discours sur l’instinct maternel…

« Le bébé que je porte dans mes bras est une sangsue ». Ce n’est pas la première phrase du livre mais la deuxième. Le ton est donné. Le livre ne mentira pas : il ne parlera ni de fusion idéale ni de maternité radieuse. Il s’agira du point de vue d’une jeune traductrice, nouvellement mère, qui tente de survivre à ce séisme émotionnel. L’écrivaine lui prête une voix lucide, parfois désespérée, qui cherche à traduire ce bouleversement le plus justement possible.

Le choix de l’ombre

« Il existe un certain plaisir masturbatoire à produire un livre que les gens peuvent lire et apprécier sans avoir la pression de créer l’original. Même si j’ai toujours eu très envie de produire quelque chose par moi-même. Et si le travail de mère est un travail qui reste largement invisible, la traduction est peut-être une activité plus maternelle ...