Il est parfois difficile ce que l’on veut faire en terminale, alors plus tôt… C’est pourtant l’objectif de Parcours avenir, un dispositif de l’Éducation nationale qui doit permettre aux élèves, de la sixième à la terminale, de “connaître la diversité des métiers et des formations, de développer son sens de l’engagement et de l’initiative et d’élaborer son projet d’orientation scolaire et professionnelle”. Tiphaine Mora, dans ce texte de fiction, montre l’absurdité de cet outil alors que la plupart des élèves n’ont aucune idée de quoi ils parlent.
C’est le jour. Lola a mal au ventre, et elle n’a pas beaucoup dormi. Une semaine qu’elle s’entraîne devant son miroir, cherchant le meilleur effet. Elle bafouille, module les inflexions de sa voix. Ça ne marche pas, elle pleure, recommence. Une semaine qu’on supporte ses sautes d’humeur à la maison. Sa mère en a assez. Ce n’est qu’un oral de brevet ; même si elle se plante, elle fera sa formation professionnelle, alors quelle importance ?
Elle présentera son « parcours avenir » : cinq minutes d’exposé accompagnées d’un diaporama avec quelques images et mots-clés sur un métier qu’elle a choisi, cinq minutes de questions.
Il faut qu’elle tienne le coup. Qu’elle arrive au bout.
Au moment où elle aborde les raisons de son choix, toujours, ses mots déraillent ; elle revit son entretien avec Mme Gardon, enseignante en maths et professeure principale, qui l’avait convoquée trois mois auparavant.
— Quel est ton plan d’orientation, Lola ? Parce qu’avec ces résultats…
Ces résultats. Le ton était dépréciatif. Humiliant. 9,75 de moyenne en français, 11 en histoire-géographie, 10,2 en anglais, 12 en espagnol…
— Et en maths, 9,5. C’est trop juste.
Mme Gardon ne voulait pas la blesser, pourtant. Elle l’avertissait. Comme tous les élèves en difficulté, Lola est sommée de programmer son avenir dans les plus brefs délais ; de penser un plan de carrière qui aurait des allures de plan de secours, de sauvetage des meubles. Bien sûr, dans sa classe, elle en a des amis qui choisissent la voie professionnelle, et qui s’engagent avec enthousiasme dans l’apprentissage d’un métier qui leur plairait.
Mais ses souhaits à elle étaient différents.
— Et tes parents ?
Ses parents… Mme Gardon avait longtemps tenté, en vain, de les joindre. Pour cause ; ils ne voulaient pas entendre parler du collège. Eux, ils étaient parvenus à trouver des boulots tout seuls. Sans l’école. Certes, des emplois précaires et mal payés, mais il ne fallait pas trop en demander. Quand sa mère, embauchée par une grande entreprise du secteur, avait été victime d’un plan social, elle s’était battue pour recevoir des indemnités dignes de ce nom. Lola l’avait accompagnée dans tous ses rendez-vous avec le jeune avocat en charge du dossier. Il parlait bien, il avait des connaissances et semblait sûr de lui. Il était capable de venger sa mère, et ce pouvoir lui conférait une aura qui avait fasciné Lola.
Elle aussi, un jour, défendrait des gens laissés sur le banc de touche.
L’avocat avait perdu. Ses parents, dès lors, avaient décidé qu’on ne pouvait compter sur personne. Ils allaient au turbin pour que leur fille ne manque de rien. Ils courbaient l’échine. Ils acceptaient les salaires indécents, les horaires insensés, au moins, ils bossaient. Le collège était long, leur fille était mûre et ils attendaient avec une impatience à peine dissimulée le moment où elle aussi serait autonome.
Lola le savait.
— Quoi, mes parents ?
— Vous en parlez de tes difficultés ?
— Oui.
— Tu as pensé à une voie qui t’intéresserait ?
Après cette mise au point sur la sinistre réalité de son bulletin, comment révéler à Mme Gardon, sans paraître ridicule, la vraie nature de ses ambitions ?
— Je ne sais pas… Être utile. Aider les autres.
— Alors, renseigne-toi sur le métier d’assistante à la personne.
Le travail de sa sœur aînée. D’accord, c’est aussi rendre service à la société. Mais pas tout à fait de la façon dont elle l’avait envisagé.
Sa sœur s’occupe seule de ses deux enfants ; elle n’a pas les moyens de les emmener en vacances et habite un appartement en location, dont la chaudière fuit, dans une résidence lugubre à la sortie de la ville. Embauchée par une boîte privée, Sérénité, elle ne dispose pas de son temps. C’est, au plus, une demi-heure consacrée à chaque client ; de l’usinage. Elle se plaint d’être indispensable et mal traitée.
— Ça te plairait ?
— Peut-être. Je ne sais pas.
— À ce stade de l’année, Lola, il faut que tu affines un projet. Prends rendez-vous avec Mme Sabri, la conseillère d’orientation. Et pour guider ta réflexion, présente un Parcours Avenir à l’oral du brevet.
L’enseignante lui avait adressé un sourire compatissant. Lola avait quitté l’entretien les yeux brûlants, la gorge sèche, la tête haute.
Elle avait craqué deux jours plus tard, dans le bureau de Mme Sabri. Celle-ci l’avait rassurée, pui...