Il a mis en lumière les femmes dans tous leurs états, au bord de la crise de nerfs le plus souvent, en chair et en os, toujours. Des femmes qui crient, qui souffrent, qui s’entraident. Des artistes, des prostituées, des mères. Beaucoup de mères, toutes plus différentes et fantasques les unes que les autres. Pourtant, en faisant appel à Penélope Cruz, Almodóvar façonne un figure maternelle unique, développée sur plus de cinq films, entre fantasme et profonde empathie.

Une courte séquence amusante des Amants passagers (2013) explicite le lien si particulier entre Pedro Almodóvar et une de ses actrices fétiches, Penélope Cruz. Celle-ci apparaît brièvement pour annoncer à son compagnon qu’elle est enceinte, comme un clin d’œil ludique à la lubie du réalisateur : la voir en mère. Avant ce film, elle a tenu ce rôle trois fois, dans En chair et en os (1997), Tout sur ma mère (1999) et Volver (2006), et après, le retrouvera après à deux reprises pour Douleur et Gloire (2019) et Madres paralelas (2021). Lors de cette fructueuse collaboration, étendue sur plus de vingt-cinq ans, réalisateur et actrice redéfinissent la mère, figure heureuse, proche du rêve, sans éluder pour autant la part de douleur inhérente à l’expérience physique de la grossesse. Cette cocréation comporte néanmoins un angle mort du côté des revendications politiques et féministes sur l’avancée de la condition de la mère, passée sous silence même dans les films récents, pour leur préférer un portrait – bienvenue et intelligent – des mères imparfaites.

La maternité, expérience charnelle

Révélée dans Jamón, jamón (1992) de Bigas Luna, Penélope Cruz débarque dans le cinéma de Pedro Almodóvar en poussant un hurlement de douleur qui ouvre avec force le film choral En chair et en os. Début du film, début d’une vie. La femme incarnée par Penélope Cruz crie, bouleversée par des contractions. S’ensuit une cavale burlesque au bout de laquelle, guidée par une amie, elle finit par accoucher dans un autobus. Penélope Cruz compose une performance physique, donnant à voir avec réalisme l’accouchement, bien trop souvent évincé au cinéma dans une prude ellipse. Elle claudique dans les escaliers, halète, sue et crie de plus belle. Les gros plans traquent la souffrance sur son visage défiguré. L’arrivée du bébé se tiendra dans un pudique hors-champ, la séquence insiste moins sur le nouveau-venu que sur l’épreuve traversée par la femme.

“Dans le cas de Penélope Cruz, la féminité est triomphante et solaire, tout en restant d’une simplicité désarmante.”

Après cette arrivée tonitruante dans le cinéma d’Almodóvar, Penélope Cruz propose deux nouvelles incarnations de la mère à venir, en insistant, une fois encore, sur le corps souffrant au travail. Clouée au lit durant toute sa grossesse dans Tout sur ma mère, elle offre un jeu en retenue, faisant de son personnage pétillant une femme faussement assurée, et réellement fragile. Deux décennies plus tard, dans Madres paralelas, les années ont passé et la figure maternelle qu’elle incarne s’est muée en une femme expérimentée, force tranquille qui rassure la jeune femme enceinte qui partage sa chambre d’hôpital. Pedro Almodóvar refuse pour autant d’adoucir la violence de l’accouchement et place de nouveau sa caméra au plus près du visage de l’actrice, haletant, hurlant.

Dans ce triptyque, les personnages joués par Penélope Cruz représentent trois âges de la maternité, trois figures de la mère célibataire qui appréhendent l’accouchement avec une progressive sérénité. L’actrice prend une place de plus en plus importante, elle n’apparaissait que dans deux séquences d’En chair et en os, se hissait au rang de personnage secondaire dans Tout sur ma mère, avant de devenir personnage principal dans Madres paralelas. Pourtant, malgré cette hiérarchie des rôles, c’est avec une même empathie, et un désir d’être, physiquement, au plus proche de ses personnages, que Pedro Almodóvar la filme. Cette proximité avec cette figure qui traverse son cinéma s’explique aussi par une profonde fascination.

La féminité retrouvée

Penélope Cruz a beau hurler, suer,...