L’écrivaine marseillaise aux origines italiennes est l’autrice de plusieurs romans : Husbands en 2013, Les garçons de l’été en 2017, Il est des hommes qui se perdront toujours en 2020 et Le club des enfants perdus en 2024. Pourtant Rebecca Lighieri n’existe pas. Comme Marseille, son terrain de jeu narratif préféré, territoire intime qu’elle connait par cœur, Emmanuelle Bayamack-Tan, aime le mystère, le trouble. Mais l’autrice d’Arcadie récompensé du prix du livre Inter en 2019 n’utilise pas un pseudonyme pour le simple plaisir de brouiller les pistes.

Emmanuelle Bayamack-Tan est Rebecca Lighieri. Rebecca Lighieri est Emmanuelle Bayamack-Tan. Il n’y a pas de secret, pas d’artifices, rien à cacher ni de voile à déchirer. Ce sont deux voix distinctes mais complémentaires qui ne sont pas des visions différentes du monde mais deux façons de l’aborder avec deux tonalités, deux esthétiques, deux angles d’attaques du réel.

C’est une autre forme de liberté que Rebecca Lighieri explore à travers le roman de genre, noir, pop et à la langue crue, acérée et vivante. Rebecca offre à Emmanuelle l’opportunité de faire un pas de côté avec une construction littéraire plus scénarisée et une langue plus organique (parfois vernaculaire) au service d’histoires où la violence physique est surtout prétexte à dire la noirceur du monde. 

Et c’est à Marseille, ville dans laquelle Emmanuelle Bayamack-Tan a grandi et vécu jusqu’à ses 23 ans que la plupart de ses livres prennent vie. La première incursion de la cité phocéenne dans l’œuvre de Rebecca Lighieri date de 2013 avec son premier roman sous pseudo : Husbands. L’histoire de trois couples au bord de la crise de nerfs qui volent en éclat, jusqu’à commettre l’irréparable entre Cassis et Marseille, les Aygalades, Saint-Julien, ou le quartier de l’Opéra.

“L’autrice dessine dans ses livres une topographie minutieuse de la ville, lieu aux multiples facettes et témoin silencieux de destins brisés.”

Puis en 2019, un premier roman graphique Que dire ? avec le dessinateur Jean-Marc Pontier, natif de Marseille, qui restitue parfaitement l’atmosphère de la ville où deux enfants que tout oppose, issus d’un quartier populaire pour l’un et de la bourgeoisie marseillaise pour l’autre, vont tomber amoureux, pour le meilleur mais surtout le pire. Enfin, Rebecca Lighieri a publié en 2020 Il est des hommes qui se perdront toujours, récit de l’enfance sacrifiée et du destin brisé d’un minot des quartiers nord, Karel qui grandit avec son frère handicapé et sa sœur, auprès d’un père violent et toxico. Sans oublier, un roman pour adolescents, Wendigo, publié en2023 qui se passe également à Marseille, dans les beaux quartiers de la ville.

L’autrice dessine dans ses livres une topographie minutieuse de la ville, lieu aux multiples facettes et témoin silencieux de destins brisés, entre mer et colline, bitume fumant de l’été, mauresque et dope qui coulent dans le sang, le sang marseillais, celui de la famille qu’on se crée. C’est à une véritable tragédie grecque que la cité phocéenne invite. Ses dieux et déesses se nomment Farouk, Delphine, Selma, Ivo, Lauriane, Mohand, Karel, Loubna ou Shayenne. Et ce ne sont pas tant les origines diverses de ses personnages qui intéressent l’écrivaine entre gitans, italiens, maghrébins ou français moyens, qu’elle sort d’ailleurs des clichés. Ils incarnent simplement la diversité qu’on côtoie à Marseille, cette terre d’exil si elle n’a pas toujours été d’accueil.

« Nous avons tous les deux grandi à Marseille, nous sommes tous les deux issus de l’immigration, même si l’immigration italienne n’a pas grand-chose à voir avec l’immigration maghrébine, mais pour le reste, nous ne pouvons pas être plus différents. » — Husbands.

Marseille, loin de la carte postale

Des quartiers nord de Marseille aux hauteurs de Cassis, en passant par Noailles, le Vieux-Port, la plage des Prophètes et un camp de gitan du 14e arrondissement, Rebecca Lighieri emmène ses lecteurs dans une visite qui n’est pas touristique. Marseille n’a encore rien de sexy, pas de TGV qui relie la ville à Paris en 3h, pas encore de Mucem ni de capitale culturelle, nous sommes avant les comptes Instagram qui vante ses mérites, puisque nous sommes dans les années 1980-2000. Marseille y est simplement elle, hésitant entre insolence, outrance et somnolence mais rivée aux cœurs de ceux qui y ont grandi. For ever.