ANALYSE. On ne « consent » à la sexualité que depuis quelques années, car le mot et son concept entrent progressivement dans la langue française et les mœurs. Effectivement, autrefois relégué aux marges des débats sur la vie sexuelle, il est désormais au cœur de notre compréhension des relations humaines, révélateur des dynamiques de pouvoir, de respect et de liberté individuelle. Recourir à son usage ne met plus en jeu que les combats féministes, mais également la propriété universelle du désir, la codification des relations intimes et le façonnement des politiques publiques.

Le consentement sexuel est aujourd’hui défini comme un accord libre, éclairé et réversible à tout moment de l’acte sexuel. Autrefois, le consentement était davantage implicite, voire non pris en compte. Aujourd’hui ce concept devient progressivement un pilier incontournable de la sexualité. Eva Illouz, dans La Fin de l’Amour (2020), et Michel Bozon, dans Sociologie de la sexualité (2002), ont travaillé sur l’évolution du consentement ces dernières décennies, notamment sous l’impulsion des mouvements féministes des années 1970 et, plus récemment, du mouvement MeToo. Or, cette évolution implique des mutations sociales et affectives, voire politiques, que nous tenterons de décrypter dans cette étude en nous appuyant principalement sur l’ouvrage Du consentement de Geneviève Fraisse.

Histoire du consentement

La sexualité a historiquement été marquée par un déséquilibre. Déséquilibre de pouvoirs d’abord, au détriment des femmes ; l’idée même de consentement féminin ne posait à l’époque guère question. Les femmes étaient effectivement considérées comme dénuées d’une réelle volonté ou d’une vraie liberté de choix. Ce n’est qu’au XXe siècle que les dynamiques ont commencé à bouger, notamment avec les mouvements féministes qui ont permis de poser des mots sur la sexualité et aux femmes d’exprimer leurs désirs, aussi bien que leurs refus.

Le consentement permet un rééquilibrage des dynamiques de pouvoir, en posant comme principe que chaque individu a le droit de disposer de son corps et de respecter ses désirs et ses non-désirs.

La question du consentement redessine ainsi l’espace intime, mais également la politique de la sexualité, inscrivant les corps dans un cadre juridique et égalitaire. À travers des concepts tels que le « non-consentement », Fraisse rappelle que « le consentement est comme une chose qui circule d’un individu à un autre ; drôle d’objet, susceptible à la fois de maîtrise et de vol ». Cette mutation dans les dynamiques de pouvoir, autrefois implicite, est aujourd’hui l’objet de débats juridiques et d’études sociales ; chaque acte sexuel serait désormais pensé collectivement comme une interaction qui doit être réciproque, consciente et validée par les deux partenaires.

Le consentement a progressivement cessé d’être une simple validation passive pour devenir un véritable outil d’émancipation. « Les femmes avaient “pris” la parole, geste affirmatif, et surtout subversif, puisque le contenu de cette parole est de dire la violence subie tout en désignant les auteurs de cette violence », rappelle Fraisse en évoquant les répercussions des mouvements comme #MeToo. Cette « prise de parole » a redéfini les contours du consentement en matière de sexualité, le transformant en un outil de résistance contre les abus de pouvoir.

Cette force féminine a conduit à des réformes législatives majeures, comme la loi Schiappa en 2018 en France, qui renforce la protection des mineurs et introduit le principe du « non-consentement » comme un critère central dans les délits sexuels – les mineurs en-dessous de quinze ans sont ainsi considérés de fait comme n’étant pas consentants à une relation sexuelle avec une personne adulte.

La transformation du rapport de force

Le consentement permet donc un rééquilibrage des dynamiques de pouvoir, en posant comme principe que chaque individu a le droit de disposer de son corps et de respecter ses désirs et ses non-désirs. Cependant, ce rééquilibrage n’est pas dû. Comme le souligne Fraisse, « Le consentement dit bien le privé et le public, le singulier et le pluriel ». Il ne s’agit donc plus seulement de veiller à ce que chacun puisse dire « oui », ou « non », mais surtout de changer de prisme. Dans cette dynamique, le consentement est un levier, car il permet de contester le système, et de remettre en cause les normes et les violences intériorisées prises pour des relations sexuelles – ici, nous pensons particulièrement au viol conjugal, perpétuellement invisibilisé.

Cette remise en question s’avère d’autant plus essentielle que, comme l’affirme Fraisse, « La possession n’est pas la propriété. La possession exprime la vulnérabilité ». Grâce au consentement, la sexualité tente de devenir un espace d’échange entre des individus égaux et les comportements abusifs persistants ont la possibilité d’être pointés du doigt. En dénonçant les abus de pouvoir et les violences sexuelles, il tente d’ouvrir la voie à la reconnaissance des formes de domination qui, jusqu’alors, restaient occultées et profondément intériorisées par une société encore en partie aveugle.

Le consentement n’est cependant pas un concept univoque, car il soulève des tensions inhérentes à la nature humaine, particulièrement dans le cadre de la sexualité. « Le consentement se révèle, comme souvent, l’expression d’un dilemme, l’issue d’une délibération », explique Fraisse. La sexualité, loin d’être une simple affaire d’accords explicites ou d’énoncés...