Le vrai blocage n’est pas celui des rues ou des gares. Il est plus profond, plus tenace. C’est le blocage des institutions, du racisme systémique, des inégalités structurelles, de l’oppression patriarcale, économique, coloniale. Mais que peut l’art dans ce champ de forces ?

Notre enquête interroge la place et la responsabilité des écrivains, des artistes, des cinéastes dans les mobilisations sociales et politiques. L’art peut-il s’opposer à l’oppression, ou se contente-t-il de la transformer en objet esthétique ? Quelle est l’effectivité réelle d’un poème, d’un roman, d’un film, quand l’urgence réclame l’action ?

La génération qui arrive ne se satisfait plus de l’observation. Offensive, pressée, elle cherche des prises concrètes, parfois jusqu’à la confrontation. Mais quelle action mener lorsque le blocage véritable, celui d’un système qui se protège en verrouillant toute alternative, paraît infranchissable ?

C’est dans cet entre-deux, entre la colère et la création, que s’inscrit ce dossier. Bloquer, c’est suspendre le flux, mais aussi inventer d’autres circulations. C’est refuser les récits imposés pour en écrire de nouveaux. C’est opposer à la mécanique froide des institutions la chaleur d’une langue, la puissance d’une image, l’éclat d’un récit. Les textes que nous publions ne prétendent pas renverser le monde, mais ils refusent de se tenir à l’écart. Ils mettent en scène la rage, l’humour, l’inquiétude, et cherchent (ou pas) à faire de la littérature, du cinéma, de l’art, un outil de déplacement.

Tout bloquer, ici, ce n’est pas seulement interrompre le cours ordinaire des choses : c’est suspendre pour un instant les rouages afin que d’autres futurs deviennent concevables. Garder à tout prix l’espérance. 

CRÉATIONS

Victor Cachard, La messe est dite !
Un texte radical, qui fait l’éloge du piratage et de l’action directe. Une écriture de rupture, sans compromis.

Lou Syrah, Les chiens de la rage
Une parabole puissante où le racisme est traité comme une maladie qui se propage dans le corps social français, jusqu’à la rage.

Henda Fellous, Le silence des flammes
Un récit où l’intime rencontre le politique, pour dire la brûlure de l’injustice et la force des silences.

Johanna Libiano, Septembre ensemble
Un texte choral, à lire comme une incantation collective, porté par l’énergie de la rue.

Araba, Milady et Soledad, Journal de bord
Trois voix féminines qui racontent, images à l’appui, les gestes et les colères de la vie quotidienne.

Reportage photo
Des images qui captent la matérialité des mobilisations, l’arrêt du flux, l’instant du blocage faites par Arnaud Cesar Vilette. @charliemanif est photojournaliste à Paris, spécialisé dans la couverture des mouvements sociaux, actions militantes et événements politiques. Il est facilement reconnaissable à sa tenue avec son bonnet rouge et blanc « Où est Charlie ». Depuis cette année, il couvre les débats à l’Assemblée Nationale, les visites diplomatiques à l’Elysée et dans certains ministères.

ENTRETIENS

Patrick Chamoiseau, Que peut la littérature quand elle ne peut?
Un échange mené par Sophie Benard sur la responsabilité de l’écrivain, ses limites et ses forces face aux luttes.

François Bégaudeau, La littérature n’a pas vocation à bloquer le pays
Entretien par Jasmin Mandola, sur l’effectivité politique de la littérature – ou plutôt, son ineffectivité. 

Nicolas Framont, Saint Luigi
Discussions entre Framont et la coordonatrice du dossier autour de son livre et de sa réflexion sur la violence du capitalisme.

Stéphanie Vincent, Izza Amar et Bénédicte Thiébaut –Cause perdue ?
Dialogue orchestré par Yasmina Behagle, qui explore les désillusions et les puissances d’agir dans les luttes actuelles.

Robyn Chien, It-girl révolutionnaire
Portrait mené par Luce Gorgi, figure fictive ou réelle d’une jeunesse en insurrection.

Entretien avec Gilles Vandaele, Produire nos images, protéger nos luttes par Victor Burgard : le cinéma documentaire pensé comme espace de lutte et de protection des récits.

CRITIQUES

Morgane Gander, Réouverture de la Gaîté Lyrique
Enquête sur une scène culturelle placée au cœur de l’urgence sociale.

Victor Burgard, 7 minutes de Giorgio Battistelli
Quand l’opéra se met en grève : une réflexion sur le langage artistique comme arme de contestation.

Estelle Derouen, Difficultés et violences des révoltes contemporaines
Une analyse du Mouvement des parapluies à Hong Kong : comment l’esthétique de la révolte dialogue avec sa violence politique.