Le texte est court, les phrases tranchent. Toutes les femmes sauf une est un livre sans détour. Marie vient d’accoucher d’une petite fille, Adèle. Marie souffre. Elle en a l’habitude, puisque c’est une femme. Voilà son héritage. Alors, depuis son lit de maternité, elle parle. Elle s’adresse à sa fille comme une tentative de briser les chaînes, enfin – celles d’une transmission féminine marquée par la honte, le silence, les violences ordinaires. Enfanter, c’est coudre sur une peau neuve l’histoire de toutes les autres.

La langue de Maria Pourchet est électrique, poétique et crue. C’est une langue de rupture, un cri intime, tendu contre les mots mêmes qui l’ont façonnée.
« Ce livre blessera. Je l’ai retenu, j’ai serré les dents, j’avais les jetons. C’est passé. Je n’ai plus peur, c’est différent. Je n’ai pas le choix. »
Le berceau des fantômes
Rapidement, il devient évident que le texte n’est pas une célébration de la maternité. Le berceau, chez Pourchet, n’est pas vide. Il est lourd d’avant. Habité par ce que personne n’a dit, des épaules des femmes plus vieilles, la lignée de chairs qu’on a fait taire. La mémoire suinte. Marie souffle sur les spectres, les exhume à la racine.
« Juste avant, il y a ma mère. Et encore avant, sa mère, et la mère de sa mère, et toutes les filles avant elles. Les fortes, les pas faciles, les tondues, les mauvaises, les tordues, les saintes… Et le berceau qui n’a rien demandé. »
C’est une généalogie souterraine, grasse de renoncements. Une lignée de femmes à qui on a fait croire que « c’était comme ça ». Qu’il y avait un prix à payer pour être une femme.
Naître, nettoyer les tombes
Alors Marie veut faire de la place. Elle veut rendre justice, nommer les absentes, les effacées, les soumises. À travers Adèle, elles reprennent forme. N’est-ce pas cela, donner naissance ? Transmettre une nouvelle voix ? Il s’agit là l’élan d’amour le plus juste qu’elle offre à sa fille : sa langue.
« Ne m’en veuillez pas. Je suis mieux là à nettoyer vos tombes qu’à moisir avec vous, ma fille dans les bras. Vous me l’avez dit, les jours de grand labeur, allez, la terre, on est mieux dessus qu’en dessous. Et de m’envoyer me laver les mains. Et, vous croyant seules, de sécher vos larmes aux coins du même tablier qui essuyait les yeux souillés de vos chats. »
Avec les mots qu’elle adresse à sa fille, Marie rompt avec la condition qui a mis les femmes à genoux. Elle ne reconstruit pas de figures héroïques, n’enjolive rien. Elle leur rend leur fatigue, leur renoncement. Elle déracine les branches enterrées. Fait de la place pour Adèle.
La mère ennemie
C’est un personnage sans nom. Une figure lourde qui pourtant prend toute la place, toutes les phrases. L’ombre large au-dessus du récit. La mère de la narratrice est le symbole de l’oppression ordinaire, du rabaissement, de ce sort de vie que l’on accepte et encaisse sans broncher. Loin d’être un phare dans la nuit, la mère surveille, juge et cingle. Très tôt, Marie a app...