L’Algérie inspire, en raison des traces laissées par son histoire mais aussi pour son patrimoine et ses coutumes. Afin de mettre en lumière des plumes algériennes, une figure de haute spiritualité, de maîtrise des mots et de sagesse mérite d’incarner cet avant-propos : Abdelkader ibn Muhieddine (1808-1883). À la fois symbole de résistance face au colonialisme français et ami de la France, il a rédigé son autobiographie durant son arrestation française en 1849. C’est en 1858 qu’est discrètement publiée la fameuse “Lettre aux Français” qui prône un dialogue interculturel, animée par un désir de liberté dans le débat d’idées, avant d’être rééditée plus largement en 1977. Son œuvre, d’une profonde clairvoyance, a marqué. Et parmi ses phrases célèbres, celle-ci résonne particulièrement :
« Si les musulmans et les chrétiens avaient voulu me prêter leur attention, j’aurais fait cesser leurs querelles; ils seraient devenus, extérieurement et intérieurement des frères.»
Ce grand homme a eu deux vies. La première comme héros de la résistance en Algérie. Et la seconde, plus spirituelle, lors de son exil à Damas où il mourut en 1883, après avoir écrit des pages mémorables pour leur beauté sur la mystique musulmane dans Le livre des Haltes.
L’idée est de s’intéresser à ce qui habite cette littérature en raison des chapitres violents de l’histoire comme la colonisation et la décennie noire mais aussi de mettre en avant d’autres voix, parfois méconnues, comme celle des écrivaines et des plumes contemporaines qui racontent autre chose.
- Le récit omniprésent de la colonisation
La violence et la folie de la colonisation française de l’Algérie a été racontée dans des romans chocs comme Attaquer la terre et le soleil (Le Tripode) de Mathieu Belezi en 2022. Dans ce roman très remarqué, l’écrivain conte le XIXe siècle, de manière sensationnelle, à travers deux voix, celle d’une mère et d’un soldat sanguinaire. Les vertueux, (éditions Mialet Barrault) grand roman de Yasmina Khadra, également paru en 2022, saisit lui aussi la question coloniale, mais au début du XXe siècle. Dans ce roman, qui nous fait traverser l’Algérie, ses villes et ses douars, au rythme des injustices et des prémices révolutionnaires, la figure d’Abdelkader plâne.
Kateb Yacine et Mohammed Dib ont écrit pour dénoncer les profondes injustices de cette période. Avec Nedjma (éditions du Seuil, 1956), roman aussi ardu qu’éloquent, Kateb Yacine exprime la difficulté pour le peuple algérien de trouver une identité nationale. Mohammed Dib, quant à lui, décide de s’intéresser à l’immense précarité des Algériens durant la colonisation. Dans La grande maison (éditions du Seuil, 1952), œuvre inaugurale de sa trilogie « Algérie », l’auteur dépeint les affres de la faim dévorante et de l’extrême solitude. Conditions de vie également dépeintes plus récemment par Xavier Le Clerc dans Un homme sans titre (éditions Gallimard, 2023). L’immense difficulté du quotidien pour une majorité d’Algériens durant la colonisation fera place, pour certains, au désir de vengeance, comme le raconte Mouloud Mammeri dans son premier roman La colline oubliée (éditions Plon, 1952) qui s’intéresse autant aux us et coutumes des kabyles qu’à leurs mentalités évolutives.
Pour évoquer l’Indépendance, Tahar Djaout s’est intéressé à la place des morts dans Les chercheurs d’os (1984). La quête des ossements se mêle à la question du devenir de cette Algérie meurtrie. Malheureusement, la décennie noire ne laisse pas le temps aux Algériens guérir de leurs blessures. L’appauvrissement du pays durant sa colonisation et la colère qui en résulte ont favorisé un terreau propice aux plus grandes tensions engendrant alors une guerre civile des plus obscures.
- Le sujet interdit : la décennie noire (1992-2002)
Il convient de rappeler que cette épisode sanglant opposait les islamistes et l’armée. Comme durant la colonisation, des villages et des familles ont été décimés. Pour clore ce conflit, le Président Abdelaziz Bouteflika a fait adopter un projet de loi de concorde nationale, impliquant la grâce de certains islamistes. Du jour au lendemain, l’amnésie a été imposée, ainsi que le silence. Depuis 2005, la loi interdit d’instrumentaliser les blessures conséquentes à cette période sous peine d’emprisonnement. On peut constater avec soulagement que cette loi n’a jamais empêché les écrivains algériens d’écrire, et ce malgré la faible résonance de leurs textes en France.
Boualem Sansal s’en est emparé dans son premier roman Le Serment des barbares (éditions Gallimard, 1999) à travers une enquête sur deux crimes parallèles. Une manière de dénoncer la violence et la corruption d’un pays agressé de l’intérieur. Ce texte n’est pas sans rappeler celui de Yasmina Khadra, Morituri (éditions Baleine, 1997), réédité et augmenté cette année aux éditions Mialet Barrault. L’écrivain, alors militaire lors de son écriture, était hélas aux premières loges pour assister au désastre. De ce triste spectacle est né le besoin d’écrire. Son roman policier traduit avec un réalisme subtil l’état d’esprit algérois à cette période. Plus récemment, le...