L'alpiniste Maurice Herzog
L’alpiniste Maurice Herzog (1919 – 2012)

La fille du célèbre alpiniste Maurice Herzog vient de publier un roman qui fait grand bruit, Un héros, dans laquelle elle écorne sévèrement la légende de son père. Mais, contrairement à ce qui a été dit à tort et à travers depuis quelques mois, ce très joli premier roman est bien plus qu’un simple règlement de compte familial.

2012
Août 2012

« Un hémiplégique de la sensibilité»

Publié en août 2012 chez Grasset, Un  héros est le premier roman de Félicité Herzog. La narratrice Félicité Herzog est la fille de Maurice Herzog, aventurier qui a gravi avec Louis Lachenal en 1950 l’Annapurna, sommet mythique de 8 000 mètres. Cet exploit, qui a érigé Maurice Herzog en héros national, est d’emblée décrié par sa fille qui y voit « un pacte inavouable entre ces deux hommes, unis pour le pire dans un mensonge de cordée et l’édification de ce qui deviendra un mythe national. » Dans ce premier roman écrit à la première personne, Félicité Herzog retrace sa vie, au sein de sa famille, entre son père homme politique, sa mère libre et rebelle et son frère Laurent promis à un brillant avenir.

Née en 1968, Félicité Herzog livre dans la première partie de ce livre, comme un exutoire, ce que fut son enfance, et comment elle a réussi à se construire avec une figure paternelle forte, dépeinte sans fard ni détour. Elle le décrit comme « un monstre de froideur et un hémiplégique de la sensibilité ». Elle essaie de comprendre, d’expliquer, (mais n’est-ce pas déjà un peu pardonner ?) son incapacité à être père. « Peut-être les blessures, les épreuves physiques, la renommée de son exploit, les très nombreuses marques de reconnaissance dont il jouit au cours de son existence le rendaient-ils impropres au rôle de père ». Et pourtant celui-ci la fascine, elle le trouve beau, un physique d’acteur de cinéma américain des années 50, à la Clark Gable: « les cheveux poivrés, la mèche peignée, le teint hâlé, la lèvre supérieure surlignée d’une fine moustache, mon père, à 55 ans, incarnait pour nous un être fabuleux ». On sent la blessure et le regret de sa relation avec lui, qui ne se tisse que des cartes postales qu’il lui envoie. «  Nos échanges tenaient, pour l’essentiel, en ces cartons de 10 centimètres sur 15 ».

D’aucuns n’auront vu qu’une violente charge adressée contre son père, or une fois les sentiments livrés sur la figure paternelle il n’est plus question de lui mais du frère de l’auteur

Une relation fraternelle fusionnelle et destructrice

Ce père omniabsent qu’elle fantasme ne représente pour elle qu’un ogre qui la terrifie moralement comme une petite fille après la lecture d’un conte. A la différence que c’est sa réalité. D’aucuns n’auront vu qu’une violente charge adressée contre son père, or une fois les sentiments livrés sur la figure paternelle il n’est plus tellement question de lui mais plutôt du frère de l’auteur, Laurent, son aîné de trois ans. Celui-ci apparaît en effet très tôt dans le roman et ce jusqu’à la fin, tandis que le père, une fois la conscience de sa fille libérée de son poids, n’apparaît plus que comme une ombre terrifiante. Les deux tiers du roman sont donc consacrés à la relation fraternelle qui unit et détruit à petit feu ces deux enfants terribles. « Nous étions devenus Laurent et moi, des manants à l’adolescence rendue infernale, enfermés dans un duel fratricide. L’un d’entre nous allait peut-être y rester ».

Et ce fut lui, Laurent, « un être qui avait voulu aller si haut, comme son père. C’était ce même sentiment de déroute qui accompagnait sa déchéance ». Brillant, rêveur, jusqu’au-boutiste, Laurent se raccroche à sa sœur comme sa sœur à lui. « Cet amour-là était impossible mais nous demeurions, l’un pour l’autre la seule personne à aimer ». Unis dans la même solitude et les mêmes interrogations, Laurent, hypersensible, à fleur de peau, n’était sans doute pas doté de la même force de caractère que sa sœur. Dénué de toute affection et autorité paternelle, Laurent a-t-il préféré s’exclure lui-même «  de cette arène dangereuse et mortelle » ? L’ambiguïté plane sur le titre même du roman. « Un héros », y en a-t-il seulement un et lequel est-il ? Le père, héros national qui a construit sa légende sur un mensonge, ou le frère, héros déchu qui finit sa vie, fou, en vagabond des étoiles, jusqu’à sa chute inéluctable ?

Félicité Herzog,Un héros, Grasset, 302 pages, Août 2012, 18 euros

Séverine Osché