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Dans son ouvrage intitulé « « Putain » de Saint Foucault », sous-titré « Archéologie d’un fétiche », le biographe de Jean-Edern Hallier se livre, aux dépens de Michel Foucault, à un exercice roboratif de philosophie à coups de marteau, inspiré paradoxalement par les prescriptions de celui qui fut pour l’auteur de Surveiller et punirun maître à penser : Nietzsche.

« Quamvis stultitiam nullus velit, vult tamen ea ad quae consequitur esse stultum, scilicet abstrahere sensum suum a spiritualibus et immergere terrenis. (Quoique nul ne veuille ce qui nous rend sot, l’on veut cependant ce qui nous conduit à la sottise, à savoir : arracher son esprit au spirituel, et l’immerger dans le terrestre) »

(St. Thomas d’Aquin)

Le fétiche

C’est à l’excellent Littré, non pas certes le « nouveau » que l’on trouve en librairie, tout jauni de rajeunisme par l’ambiante bêterie désireuse d’avoir une cuistouille lexicale digne de son minuscule empan ; c’est au Littré véritable, donc, que je dois deux précieuses découvertes, l’une faite par un providentiel hasard, l’autre avec préméditation. La prime est cette inattendue définition du « fétiche », cette petite idole grossière que François Bousquet n’a pas peur de convoquer tutélaire au sujet de Michel Foucault : « poisson d’Afrique qui paraît être du genre squale, et auquel est rendu un culte religieux ». Laissons de côté l’Afrique, et retenons le peut-être squale, que pour sa part le Dictionnaire raisonné d’Histoire universelle, de Valmont de Bomare, suppose être une baliste, dite aussi « cochon de mer », poisson particulièrement agressif envers ses semblables et ayant pour particularité remarquable de s’éteindre en poussant des grognements aux presque humaines dysharmonies ; une manière de poiscasse sadique, donc, qui flûte d’agoniques humanoïdes sonnances. La seconde surprise, toute d’inattendu celle-ci, fut pour moi la découverte du « foucault », dont l’inestimable Littré, outre siècles, me permet d’apprendre qu’il s’agit d’un des « noms vulgaires de la petite bécassine », – autrement dit, de la petite petite bécasse (puisque « bécassine », déjà, signifie « petite bécasse »), de l’infinitésimale bécasse.

La seconde surprise fut pour moi la découverte du « foucault », dont l’inestimable Littré me permet d’apprendre qu’il s’agit d’un des « noms vulgaires de la petite bécassine »

Est-ce assez pour justifier le sous-titre du très esculent essai de François Bousquet, « Putain » de saint Foucault » : archéologie d’un fétiche ? À cela faudra-t-il ajouter que l’origine du terme, par-delà le portugais dont il est immédiatement issu, n’est autre que le facticius latin, qui nous donna aussi notre « factice » ? Point n’est même besoin d’ouvrir encore cet ouvrage, bref d’ailleurs, pour savoir de quel fond l’on verra émerger la figure de Michel Foucault : celui du faux, le propre lieu du démon, selon Saint Jean, « quia mendax est et pater eius » (8;44). Le factice, chez le fétiche Foucault, se niche jusques en son propre nom, qui de naissance était Paul-Michel – « Paul » étant le prénom de son père –, et non simplement « Michel », tel qu’il le désira très vite éhouper. L’auteur des Mots et les choses ayant supprimé en son nom même toute trace de paternité, il ne doit pas étonner outre mesure qu’il se soit excellemment illustré dans la catégorie des sans-pères, bien plutôt qu’en celle des Saints Pères. Fils autobistourné du nom du père, Michel Foucault n’était certes pas le plus fervent admirateur de Lacan, dont on connaît la formule célèbre : « le Nom-du-Père crée la fonction du père ». Quelle, donc ? Religieuse avant tout, cette fonction qui est celle de relier le symbolique et l’imaginaire – de relier, non de lier, ainsi que le fut Isaac par son propre père avant que l’Ange ne vienne, du Père directement, relier en vérité le fils au père, en libérant celui-là de celui-ci, créant ainsi de la relation et non plus de la liaison. Foucault, lui, ne connaîtra que des liaisons, et déliaisons.

Récapitulons. Comme celle du poisson-fétiche, l’identité de Foucault est incertaine : squale ou baliste, sans doute tous deux alternativement ; car du premier il avait le crâne lisse et l’aisance en eaux troubles, de la seconde, le sadisme et néanmoins l’humanité gargouillée à l’heure du dernier soupir. De son propre nom, le foucault, il avait les dimensions et la vulgarité : petite intelligence, vulgaire pensée, petit style, vulgaire existence – mais grande carrière. Beaucoup d’animaux, donc, mais l’auteur lui-même rappelle que « Foucault prêchait un devenir mutant. Le devenir-homme de l’animal, le devenir-animal de l’homme » (p. 101). L’animal que donc il fut… Et enfin, du facticius que fait entendre le fétiche, l’on y pourrait, ce me semble, voir condensée l’œuvre entière de Michel Foucault, fallacerie flasque de premier ordre en quoi, à son tour, se vient résumer l’exhaustive lie du XXe siècle ; ce temps dont l’auteur de l’Histoire de la sexualité fut, malgré qu’il en eût, la bonne conscience.

Le « fucking saint »

Ainsi Bousquet peut-il écrire que « rarement un penseur (sic) aura aussi intensément préfiguré un moment historique » (p. 24). Je demande pourtant : pourquoi « préfiguré » ? Nulle figure, mais beaucoup de figuration, chez Foucault, qui jamais ne porta « absence et présence », comme l’écrivait Pascal ; bien au contraire porta-t-il sans doute à un point singulier d’incandescence la présence en lui, d’un autre : son époque même. Georges Dumézil disait de lui qu’il portait des masques ; pource que, sans doute, il était en perpétuelle représentation, ou mieux encore, il était lui-même une perpétuelle re-présentation de son temps, littéralement la venue en présence objective, pour une époque donnée, de sa propre essence, particularisée en un étant immédiat qu’elle peut alors tenir devant elle, à distance, et laisser vivre de sa vie propre ; une dense vie démoniaque à l’évidence, bien loin sans doute de celle que Nietzsche, l’idole généalogique de Foucault, prophétisait à l’intention de l’Übermensch. De la pointe d’un calembour désignant Foucault, dont il fut le protecteur un temps, l’on eût pu dire à Dumézil : larva tua pro Deo.

Michel Foucault appartient à la religion qu’il contribua lui-même à créer, la religion que résume ce verbe trivial : to fuck

Ludoverbiage ironique bien sûr, car à l’évidence ce ne fut point de Dieu que Michel Foucault fut le « saint », comme l’appelait David Halperin ; précisément, il fut un fucking saint, un « putain de saint », – même si l’on est bien embarrassé au moment de traduire fucking, qui dérive directement d’un verbe dont le sens, et sans doute la chose, sont connus de tous, tandis que notre gaulois « putain », s’il renvoie à un verbe latin (putere, puer) ne fait directement signe vers nulle tronchade. Peut-être serait-il alors plus adapté au cas Foucault de traduire le fucking saint par : un saint pédiquant ; car l’on sait qu’il fut en quelque sorte le pédiquant qui, lassé d’un long voyage, ivre de volupté, sur son festin de mort, s’enfesse et chancelle. Loin de nous, cependant, l’idée de contester la justesse, inconsciente, de cette formule que Halperin tailla sur mesure à son Talis-Man français, car au sens que je vais dire, l’auteur de Surveiller et punir fut bel et bien un fucking saint, puisque du sacral au sacrum, après tout, il n’y a qu’un pet ; et l’on n’est jamais loin non plus du sacre homme, capable de rapacités maintes. De quelle insue justesse sonne donc cette expression anglosaxonne ? Au sens premier du terme, ce qui est saint est ce qui appartient à la religion : homme, femme, lieu, peuple… Mais à quelle religion, alors, appartenait Foucault, ce saint Michel qui aurait forniqué avec le dragon plutôt que de le terrasser, ce saint Michel qui littéralement se croyait semblable à Dieu (mi-kha-El, en hébreu) devant qui, seul, il n’y a plus « ni homme ni femme » (Galates, 3;28) ? Halperin le dit : Foucault fut un fucking saint Michel – et nous ne dirons pas sur quelle broche il enfila le dragon. Michel Foucault appartient à la religion qu’il contribua lui-même à créer, la religion que résume ce verbe trivial : to fuck ; la religion des fuck les plus informes, trop heureux de se tordre sur des montagnes de fange dont ils font l’exclusive matière de leurs stercoraires méditations. Telle est la religion de ceux qui ont « baisé la stupide matière », selon un vers de Baudelaire, et dont Michel Foucault est le fucking saint : un Pédiquant dont la Camille serait une tripotée d’hommes sensuels, et qui n’aurait jamais su trouver au monde une seule chose sainte et sublime.

Péroraison

« Un pied au Collège de France, écrit l’auteur, un autre en enfer » (p. 11) : disons plutôt deux pieds en enfer, puisque Bourdieu lui-même se plaisait à qualifier le Collège de France de « lieu de sacralisation des hérétiques », – formule appropriée, ô combien !, à la situation de ce fétide fétiche fantoche que fut Michel Foucault. De cette situation, l’auteur parle admirablement et dit l’essentiel, en tous les domaines auxquels se frotta la pensée de Foucault, – puisque l’auteur de ce pamphlet lui fait l’immense honneur de lui en reconnaître une. Mais surtout, que l’on me fasse la grâce de ne s’y point tromper : si ma plume badine avec l’humour, il n’en doit pas être hâtivement conclu que ce livre n’est qu’une satire à boulets rouges. Si le ton est allègre, et le stylet émoulu, le propos n’en est pas moins précis ; et l’ouvrage, concis, n’en est pas moins construit. La facture en est dansante et dense la matière. Son Archéologie d’un fétiche apparaît alors comme un catalogue des perversions toutes qui furent celles de son antihéros ; et l’on y voit défiler tous les vices faits aujourd’hui vertus, dont l’auteur de Folie et déraison fut une manière d’impeccable peccamineuse synthèse. Synthèse de son temps, comme nous dîmes déjà qu’il fut représentation de son époque ; saint thétique, donc, en quelque sorte, au sens du moment négatif dialectique de Hegel, lorsque l’Universel pose (θέσις : action de poser) hors de soi sa propre particularité avant que de la reprendre en soi. Moment bien nommé négativement puisque Foucault lui-même écrivait, comme nous le rappelle François Bousquet, que « l’objectif principal aujourd’hui n’est pas de découvrir mais de refuser ce que nous sommes » (p. 85) : négation de soi, mort du sujet auquel nulle Aufhebung jamais ne viendra rendre vie. L’auteur note à la même page que « toute sa vie, il chercha à « se déprendre de soi-même », à se perdre, s’égarer, non pas pour se retrouver, mais pour tout effacer, selon le vœu de Blanchot ».

L’Archéologie d’un fétiche apparaît alors comme un catalogue des perversions qui furent celles de son antihéros

De la proclamation grandiloquente de la mort du sujet aux pédambulations sadomasochistes américaines, en passant par le néo-libéralisme, une propension à faire les fonds de prisons comme d’autres font les fonds de tiroirs, les asiles d’aliénés, le Collège de France, la « sexualité sans sexe » et quelques surérogatoires petites niches néo-nietzschéennes, l’œuvre de Foucault est un fourre-tout où l’hétéro gène. « La négation, le décentrement, la fuite hors de soi (on n’en sort pas) : ce sont les grands leitmotiv qui rythment l’œuvre, leur terme étant l’effacement et la disparition, écrit Bousquet. Ils vont fournir les éléments de langage de la théorie du genre. Foucault n’en est certes pas l’inventeur au sens rigoureux du mot, mais sans son aura intellectuelle, sans ses travaux préparatoires, sans sa contre-histoire de la sexualité, tout le boniment autour du genre aurait eu le plus grand mal à sortir des cercles fondamentalistes LGBT » (pp. 95-96). Toute l’œuvre de Foucault ci-gît résumée : une vaste et bigarrée boîte de fournitures en tous genres – si j’ose dire –, où viendront puiser toutes les idéologies idolâtres de notre temps. Aussi, s’il est vrai que le monde moderne est envahi de « vertus chrétiennes devenues folles » (Chesterton), faut-il lire au plus vite cet ouvrage, ne serait-ce que pour s’apercevoir que la moins folle de toutes ne fut certes pas Michel Foucault.

  • « Putain » de Saint Foucault : Archéologie d’un fétiche, François Bousquet, éd. Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2015, 105 pages, 15 euros.

Romain Debluë