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La Compagnie Teknaï nous offre un spectacle bouleversant au théâtre de la Reine Blanche. Les Vibrants… qui avaient déjà enthousiasmé le festival d’Avignon en 2014 et touché l’âme du jury du prix Adami en 2016.

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On ne ressort pas indemne de ce genre de représentation, ou du moins l’on ressort pris dans un entre-deux, entre la claustration et l’envolée. « Je vais pas bien et en même temps je vais bien » pourrait-on résumer vulgairement et ce que s’est dit, paradoxalement, le spectateur que je suis sitôt sorti de la salle comme quelqu’un qui venait de vivre une expérience tragique et sublime. On me l’avait bien vendu cette pièce de théâtre et en général, lorsque l’on me vend de manière trop dithyrambique quelque chose, le scepticisme me gagne – réaction de snob – et je réserve mon jugement. Celui-ci est tombé, j’ai pleuré.

« Nous sommes des vibrants Eugène. Des vibrants ! Nous tremblons, nous frémissons, nous résonnons. Nous avons besoin de croire pour faire croire ! De vivre pour faire vivre ! »

Le topos de la remontée des enfers

L’enfer des tranchées de la Guerre 14-18. La pièce s’ouvre sur deux jeunes hommes prêts à « renvoyer cette saleté de Boches » chez eux. Ils incarnent cette génération exaltée par l’énergie maurassienne, plein d’illusions… bientôt perdues. Aïda Asgharzadeh écrit une pièce hommage à ces jeunes soldats que l’on érige en meurtrier au nom de la Patrie, à ces gueules cassées que l’on ne saurait voir.

Nous suivons le rétablissement d’Eugène Fontel, jeune soldat pris dans les tourments de Verdun et qui, blessé au front, est rapatrié au Val de Grâce la moitié du visage arraché par des éclats d’obus. Tout semble perdu pour cet homme dont l’identité est réduite à néant. C’est aux portes de l’Enfer que se retrouve Eugène Fontel, mais à l’instar de Dante, il remonte peu à peu, grâce à un personnage : Cyrano de Bergerac. La pièce d’Edmond Rostand est mise à l’honneur et permet au personnage de dépasser ses craintes et la douleur. Chaque personnage de la pièce tend à aller au-delà, de dépasser le trauma de la Guerre. L’autre devient alors le soutien nécessaire pour marcher en avant. Il y a là quelque chose qui peut faire penser aux histoires que l’on raconte dans les romans d’apprentissage avec un anti-héros sur lequel le sort s’acharne, mais heureusement il y a toujours quelqu’un pour le pousser à se dépasser. Ainsi, le topos de l’anabase est parfaitement mis en scène. Engène Fontel et le personnage de Sylvie Brintignac nous font immédiatement penser au couple fameux de La Divine Comédie : Dante et Béatrice. Mais tout n’est pas tragique ! Il y a l’espoir et en plus de l’espoir des moments où l’on sourit à coups d’humour noir dispersé par un colonel peu soucieux du politiquement correct et du moral de ses troupes.

D’emblée, le spectateur est pris de frisson : une scène très peu éclairée, des rideaux qui sont comme des voiles maculés de tâches rougeâtres, des voix sorties des hauts parleurs comme les cauchemars du soldat.

D’emblée, le spectateur est pris de frisson : une scène très peu éclairée, des rideaux qui sont comme des voiles maculés de tâches rougeâtres, des voix sorties des hauts parleurs comme les cauchemars du soldat. La mise en scène de Quentin Defalt a tout pour immerger le spectateur au cœur de l’esprit des personnages. C’est à travers leur crainte que l’on vibre, c’est à travers leur espoir que l’on vibre, c’est à travers leur silence que l’on vibre.

« Panache ! » – le saisissement

La pièce tourne autour de deux références littéraires : Cyrano de Bergerac et l’autre dont je tairais la référence, car il ne faudrait point dévoiler l’émotion. Et si Aïda Asgharzadeh cherche à dévoiler les tréfonds de l’âme humaine avec tout ce qu’elle porte d’angoisses, elle révèle aussi le pouvoir de la fiction dans la vie d’un homme.

Eugène Fontel dépasse sa difformité et sa douleur en se mettant à la place d’un autre qu’il va jouer, qu’il va apprendre à connaître grâce à un grand maître du théâtre français. Mais aussi, il est bouleversé en lisant les vers de ces deux pièces de théâtre mises à l’honneur par l’auteur. Il est bouleversé, car le texte est un miroir. Le texte a dit trop de ce qu’il pensait déjà. Les mots avaient tant de pouvoir et de sens qu’ils l’ont transpercé de part en part, lui montrant la cruelle condition qui est la sienne et de fait les mots lui ont fait accepter celle-ci. Il n’y a plus à discuter : nous avons besoin des mots et non pas des mots jetés au vent sans savoir ce que l’on dit, les vrais mots ceux qui portent, ceux qui vous arrachent, ceux qui vous font pénétrer plus intensément le monde, voilà ce dont nous avons besoin et la pièce et le personnage d’Eugène Fontel tend à le dire d’une manière absolument bouleversante. C’est le saisissement à l’état pur, pour ne pas dire brut car c’est une claque.

Les mots exaltent, le jeu saisit. Ils sont « la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime… ». Exaltation, saisissement, ce sont deux mots qui définiraient très bien ce que l’Art doit accomplir chez celui qui le vit – et le pratique –, c’est-à-dire, déconstruire, donner un souffle assez puissant pour marcher en avant. C’est l’espoir !

Peut-être faudrait-il souligner tout de même les aspects un peu facile de la pièce, car il semblerait que l’on ne puisse pas faire de représentation de la Première Guerre Mondiale sans mettre en scène de fausses lettres reçues par le soldat qui vit alors d’illusions amoureuses. Ressort facile donc pour une pièce qui se serait, très certainement passée, de cette histoire pseudo-romantique, car du reste, rien ne dépasse.

Je ne saurais assez remercier le théâtre de la Reine Blanche de m’avoir convié à cette représentation qui dure jusqu’au 15 avril 2017. Allez-y, soyez autant exalté et saisi que je le fus !

  • Les Vibrants, Aïda Asgharzadeh, Riveneuves éditions, 2014
  • Les Vibrants, écrit par Aïda Asgharzadeh et mis en scène par Quentin Defalt au théâtre de la Reine Blanche jusqu’au 15 avril 2017

Théo Bellanger