maxresdefaultPublié chez Plon, L’été des quatre rois de Camille Pascal est le lauréat du Grand prix du roman de l’Académie française 2018. Les faits relatés dans ce roman historique sont, des dires de l’éditeur, « rigoureusement exacts », jusqu’aux dialogues, qui sont pourtant nombreux. C’est donc une leçon d’histoire immersive qui nous est donnée au travers de ce roman, et c’est bien là son principal attrait.

CVT_Lete-des-quatre-rois_4259Le roman se déroule en juillet et août 1830, mois qui ont vu se succéder sur le trône les quatre rois de France Charles X, Louis XIX (dont le règne n’a été qu’une formalité et dont la durée se compte en minutes), Henri V (qui n’a pu être imposé par les Bourbons) et Louis-Philippe Ier. Sur fond de révolution populaire, démocrates, ultraroyalistes et opportunistes de tous bords bougent leurs pions afin d’instaurer ou restaurer un régime, d’entrer dans l’histoire, de sauvegarder leur rang ou encore de se hisser jusqu’à celui de notable ou de monarque. L’été des quatre rois commence le 25 juillet 1830, date à laquelle le roi de France Charles X décida avec son gouvernement dirigé par Polignac de légiférer par des ordonnances visant à mettre fin à la liberté de la presse, à dissoudre les chambres, à réserver le droit de vote à des collèges électoraux constitués de notables et à tenir de nouvelles élections. Ces fameuses ordonnances de Saint-Cloud, dont le but ultime était de sécuriser la monarchie et la dynastie des Bourbons après que leur règne fut interrompu par le Premier Empire, provoquèrent leur perte en quelques semaines.

Cette structure un peu froide bien qu’efficace, associée à un langage qui n’est pas anachronique, semble par moment avoir des velléités plus proprement didactiques que littéraires.

Le roman est donc intelligemment et chronologiquement découpé en journées portant chacune un titre, ce qui a pour effet sur le lecteur une compréhension facilitée des évènements et un sentiment très à propos d’inexorabilité. Les péripéties de ces journées sont narrées par tranches – le lieu étant à chaque fois mentionné avant toute chose – et suivent différentes figures historiques d’un point de vue omniscient. Il nous est donc donné de voyager dans les têtes des rois eux-mêmes, de la cour de Charles X et de ses ministres, mais également du libéral La Fayette, du journaliste Adolphe Thiers et des écrivains Chateaubriand, de Vigny et Stendhal, entre autres.

La forme est bien pensée de manière à faciliter l’immersion du lecteur, d’autant que le rythme accélère progressivement jusqu’au point le plus sanglant et politiquement sensible de la révolution, avec des épisodes plus courts et concis. Cette structure un peu froide bien qu’efficace, associée à un langage qui n’est pas anachronique, semble par moment avoir des velléités plus proprement didactiques que littéraires.

La complexité d’une autre époque

Ce roman permet de saisir l’essence d’un temps et d’un milieu – essentiellement royal et bourgeois. D’une part, le lecteur est immédiatement plongé dans cet univers avec le rituel alambiqué du lever du roi, qui, au niveau de l’écriture, nous fait explorer un champ lexical très spécifique ; l’ensemble de l’œuvre, par ailleurs, nous permet de réviser un langage soit châtié, soit d’un autre temps, souvent les deux à la fois. Phaétons, mirliflores, philistins, haridelles et harengères n’ont à la fin plus de secret pour le lecteur. D’autre part, L’été des quatre rois rend bien compte de la façon concrète dont un règne se fait ou se défait à une époque où les moyens de communication ne sont pas instantanés et où il est facile de tenir le peuple dans l’ignorance.

Les courses aux messagers ; la rivalité entre le palais du Luxembourg où siège le gouvernement Mortemart, l’Hôtel de Ville, bastion des républicains, et le Palais-Royal, repaire de Louis-Philippe ; les diverses subtilités légales dont on essaie de tirer profit ; les habiles omissions des uns, en l’absence d’accusés de lecture ; les rumeurs répandues par les partisans des Valois afin d’envoyer le peuple aux trousses de Charles X et Polignac sans se salir les mains ; l’influence des intellectuels et ses modalités ; les salons mondains : ces éléments ayant eu tout autant d’importance que les institutions officielles et l’action du peuple dans le cours de l’histoire sont disséqués et constituent des clés de compréhension de l’issue de ces évènements et de la vie politique de l’époque.

L’auteur en surplomb de l’histoire

 L’auteur se place en observateur cruel d’une faune médiocre

Ce roman nous rend familiers non seulement la machinerie politique, mais également les figures historiques qui la forment. Ainsi, nous suivons Charles X et ses proches dans leur fuite de Saint-Cloud jusqu’à Versailles, Rambouillet, puis à travers la Normandie. Nous côtoyons ce roi pieux jusque dans la honte de ses « rêves poisseux », dans son obstination à faire renaître la dynastie des Bourbons de ses cendres en protégeant son petit-fils, et dans son désespoir devant la débâcle née de son erreur. Nous approchons son fils le dauphin, duc d’Angoulême, nerveux et bègue et son épouse, dure et rêche, le maréchal Marmont, expiant sa défection passée à Napoléon par une dévotion à toute épreuve, la duchesse de Berry et sa personnalité exaltée… Ces figures, bien qu’ayant existé, sont fouillées par l’auteur, probablement sur la base d’une solide recherche.

Si le lecteur est amené à éprouver de l’empathie, par exemple pour les personnes du roi et de Marmont, il est à noter que tous les personnages sont présentés comme ridicules. Charles X, sa raideur d’un autre âge et son amour de l’étiquette ; les crises nerveuses du dauphin et de la dauphine, l’agitation de la duchesse de Berry, la laideur de Stendhal et ses maigres compétences sociales, l’ambition démesurée de Thiers, le caractère retors des banquiers, la vanité de la comtesse de Boigne, la perfidie du duc et de la duchesse d’Orléans, l’absence de charisme de Mortemart… Rares sont ceux qui gardent leur dignité. Ce n’est de toutes façons certainement pas le cas du peuple révolté, auquel l’auteur s’intéresse peu si ce n’est pour le dépeindre comme une masse grouillante, sale, indistincte, destructrice et souvent lâche : « gueusaille », « sale trogne », « femmes dépoitraillées », « envahisseurs », « foule toute chargée de misérables, de larrons ou d’écoliers », « femmes énervées et leurs enfants sales » : jamais les émeutiers ne mobilisent le registre épique, sauf dans les discours hypocrites des républicains.

Camille Pascal nous offre une lecture agréable, instructive, mais sans véritable saillie littéraire

Certes, le parti est pris d’adopter le point de vue de la noblesse et de l’érudit sur la révolution ; certes, cette même noblesse ne manque pas de représentants ubuesques. Mais la scène clôturant le roman, plutôt bien trouvée par ailleurs, est un saut dans le temps servant à créer un parallélisme qui semble réduire l’histoire elle-même à un sujet de moquerie. Il ne fait plus aucun doute que l’auteur se place en observateur cruel d’une faune médiocre. Haut fonctionnaire gravitant lui-même dans les hautes sphères du pouvoir, artisan de la langue-de-bois politique lorsqu’il exerce la fonction de conseiller de Nicolas Sarkozy, il est difficile de ne pas voir de cynisme dans cet ouvrage.

En dehors de cela, Camille Pascal nous offre une lecture agréable, instructive, mais sans véritable saillie littéraire. Quelques jolies phrases sur le jardin de Rambouillet, un style lisible bien que soutenu. Peut-être la lourdeur volontaire de la plume étouffe-t-elle la virtuosité. L’Académie française a jugé que son roman était le meilleur de l’année ; de cela, il est permis de douter.

  • L’été des quatre rois, Camille Pascal, Plon, 478 pages, 22 euros 90, 2018.

Victoria Coste