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À l’été 2016, 51,9% des Britanniques ont exprimé, par référendum, leur souhait de sortir de l’Union européenne en votant en faveur du British Exit. Derrière son surnom à consonnance accrocheuse, le Brexit renferme une nébuleuse d’inconnues, en particulier sur la question de la politique culturelle internationale. Souvent lésée par les grands bouleversements de l’histoire, la culture sera-t-elle sacrifiée sur l’autel de cette séparation ?

Entre avancées et rétrogradations, le Brexit a des allures de feuilleton. Comme un soap, il réserve son lot de soubresauts : départ de la porteuse de projet Theresa May, succession houleuse, mise en application repoussée au 31 janvier 2020, et, avant cela, au 31 octobre 2019 – jour d’Halloween… Les détracteurs du Brexit auront peut-être vu dans cette date une raison pour le Dracula de la Hammer de se retourner dans son cercueil, tant on imagine qu’il sera délicat à l’avenir de produire des films de cet acabit.

Sans s’attarder sur la question du film de genre – qui demeure de tout temps un registre à part – c’est le cas du film d’auteur qui inquiète. Parmi les premiers concernés, Ken Loach n’avait pas attendu que le Brexit soit décidé pour faire part de sa désapprobation, en appelant à voter « no » au mois de mai 2016. Alors consacré par sa seconde Palme d’or grâce à Moi, Daniel Blake, le cinéaste avait profité du micro tendu par le Festival de Cannes pour défendre le modèle européen de gauche, en critiquant « la cruauté des programmes d’austérité et l’échec des politiques néolibérales ». Depuis, le Brexit n’est pas encore entré en vigueur et un nouveau pamphlet loachien est sorti en salle, Sorry We Missed You, centré cette fois sur la dérive consumériste.

Le cinéaste, qui a fait de la dénonciation de la précarité le leitmotiv de son œuvre, a l’habitude de s’appuyer sur une coproduction franco-britannique. Contrairement à ce que son nom suggère, Why Not Productions est une société française, qui a soutenu plusieurs de ses longs métrages. Gageons qu’elle lui restera fidèle à l’ère du Brexit. Ceux qui seront lésés, en revanche, sont les auteurs plus confidentiels, qui ne possèdent pas la renommée internationale de Loach. S’il faudra attendre une première année test pour dresser un bilan, les prévisions ne sont pas engageantes pour les petits poissons des eaux troubles européennes. En 2017, la productrice Elizabeth Morgan Hemlock déplorait la situation en expliquant : « Nous sommes en train d’être coupés de nos confrères continentaux ».

Cette même année, le BFI – l’Institut britannique du film, équivalent de notre CNC – rappelait que sur l’année écoulée, les financements étrangers représentaient 86% de la production cinématographique nationale.

Cette même année, le BFI – l’Institut britannique du film, équivalent de notre CNC – rappelait que sur l’année écoulée, les financements étrangers représentaient 86% de la production cinématographique nationale. En l’absence de ces capitaux extérieurs, il est à craindre que seuls subsisteront les films grands publics susceptibles de rassurer les studios, comme cela a été évoqué lors du débat Paris Images Cinéma qui se tenait en janvier.

Cependant, plus récemment, Aude Accary-Bonnery, en charge des stratégies du CNC, notait que le positionnement observé par l’UE est de « rester fidèle à ses principes, tout en s’adaptant ». Toujours dans le cadre de cette conférence à l’initiative de l’Observatoire Européen du Cinéma, elle soulignait l’importance de « maintenir en Europe un tissu de financement de la création qui garde des actifs et qui parle aux Européens ». Un constat auquel s’est enjoint Lucie Recalde-Langarica : « Nous voudrions consolider les systèmes de financement pour remettre le talent au centre de l’équation, car il ne s’agit pas uniquement de se focaliser sur la promotion, mais surtout sur la cocréation », observait la Directrice du pôle de l’industrie audiovisuelle du programme de soutien MEDIA de la commission européenne.

Dans ce contexte global, la fameuse exception culturelle française, (expression qui désigne les dispositifs légaux permettant de protéger la production culturelle française), pourrait faire des envieux ! S’il ne devrait donc pas signer la fin pure et dure du cinéma d’art et d’essai britannique, le Brexit acte en tout les cas la mise en péril de l’offre cinématographique de l’île, au point de se demander si Ken Loach aurait pu avoir la carrière qu’on lui connaît si celle-ci avait débuté après le Brexit. Lui qui dit vouloir prendre sa retraite à chaque nouveau projet fera peut-être, sait-on jamais, un film sur le sujet.