Si son nom n’est peut-être pas connu du grand public, son visage est familier des cinéphiles (qui ont pu l’apercevoir notamment dans Harvey Milk de Gus Van Sant, J. Edgar et l’Echange de Clint Eastwood ou bien encore Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée) et des amateurs de série (True Blood, American Horror Story ou The Good Wife). Mais Denis O’Hare est également un insatiable acteur de théâtre, habitué des comédies musicales de Broadway (qu’il s’agisse du grand classique Cabaret ou des productions de Stephen Sondheim telles qu’Assassins ou Into the Woods), et, facette de son travail encore inconnue en France, dramaturge. Il a ainsi co-écrit avec Lisa Peterson une adaptation de l’Iliade, appelée An Iliad, pas (encore ?) traduite en français, qu’il jouera pour sa première en France au théâtre du Rond-Point à partir de janvier 2020[1]. Et c’est à ce titre que Zone Critique est partie à la rencontre du roi du Mississippi. 

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  • La première question qui vient à l’esprit concerne bien sûr le titre : An Iliad, une Iliade en français. Dans quelle mesure peut-il y avoir plusieurs Iliades ?

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En effet, il ne s’agit pas, dans cette pièce, d’une adaptation de l’lliade dans son intégralité mais d’une petite fenêtre qui ouvre sur la grande œuvre. Celle-ci contient énormément de thèmes, qu’il s’agisse de l’épopée, l’héroïsme, l’amour, l’amitié etc. mais ce qui nous importait vraiment, à Lisa Peterson et moi, c’était la confrontation entre Achille et Hector et, particulièrement, le destin de soldat d’Achille, personnage tragique. Cette fonction lui a été assignée à la naissance, ce qui le conduit à lutter à chaque instant contre ses congénères, mais au fond il s’y refuse, car il est malgré tout un homme de paix. Il est très représentatif de la dualité guerre-paix qui tiraille les hommes, comme on peut le voir dans cette tirade qu’il prononce :

«  If only strife could die from the lives of gods and men

And anger that drives the sanest man to flare in outrage –

Bitter gall, sweeter than dripping streams of honey,

That swarms in people’s chest and blinds like smoke –

Just like the anger Agamemnon king of men

Has roused within me now[2]… »

On s’attarde dans notre pièce sur cette dualité mais aussi sur les raisons de la colère, pourquoi l’humanité se sent en colère et comment elle traduit cet état d’esprit en actes.

  • Justement, le premier mot de la pièce est « rage », ce qui annonce la tonalité dramatique de l’histoire.

Tout à fait. C’est d’ailleurs un passage en grec. On reprend les premiers vers de l’Iliade, qu’on a choisi de garder dans leur version originale.

« Μῆνιν ἄειδε, θεά, Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος

οὐλομένην, ἣ μυρί᾽ Ἀχαιοῖς ἄλγε᾽ ἔθηκε,

πολλὰς δ᾽ ἰφθίμους ψυχὰς Ἄϊδι προΐαψεν

ἡρώων, αὐτοὺς δὲ ἑλώρια τεῦχε κύνεσσιν

5 οἰωνοῖσί τε πᾶσι, Διὸς δ᾽ ἐτελείετο βουλή,

ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε

Ἀτρεΐδης τε ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεύς[3]. »

  • Quelle a été la genèse de votre pièce ? Qu’est-ce qui vous a conduit, avec Lisa Peterson, à adapter l’Iliade au théâtre ?

Lisa m’a contacté il y a environ une quinzaine d’années, alors que les Etats-Unis venaient de s’engager dans la guerre d’Irak. Elle m’a demandé si j’avais lu l’Iliade, ce qui n’était pas le cas (alors que j’avais lu l’Odyssée), et m’a proposé de l’adapter en une pièce de théâtre. J’ai accepté, mais j’étais persuadé que cela ne se ferait jamais et je ne voyais pas très bien où elle venait en venir. Mais comme je dis toujours oui à ce qu’on me propose (on ne sait jamais…), nous nous sommes lancés. Nous avons travaillé dessus puis la première a eu lieu à New York en 2012, soit neuf ans plus tard.

  • Y avait-il alors une motivation politique derrière cette pièce, comme une dénonciation, à partir d’un texte fondateur, des guerres contemporaines ?

L’objectif était de réfléchir sur les motivations qui poussent les hommes à se faire la guerre, à perpétrer des actes de violence.

L’objectif n’était peut-être pas tant de dénoncer la guerre en tant que telle, car elle est une réalité de la vie, elle fait partie intégrante de l’Homme et de son histoire. Il s’agissait plutôt de réfléchir sur les motivations qui poussent les hommes à se faire la guerre, à perpétrer des actes de violence. En quoi la guerre peut-elle être vue comme une solution aux problèmes qui se posent ? Il existe pourtant d’autres moyens de résoudre des conflits : la diplomatie, l’art, l’échange d’idées et de points de vue différents par le voyage par exemple. On remarque que les causes de la guerre sont toujours étranges, personnelles, presque sentimentales. Ainsi, l’origine de la guerre de Troie est le rapt d’Hélène, épouse du grec Ménélas, par le Troyen Pâris. Mais finalement, Hélène n’a que peu d’importance, elle est un prétexte. La vraie cause de la guerre est l’orgueil des hommes : tu m’as volé quelque chose qui m’appartient et je ne peux pas le supporter. L’honneur doit donc être vengé. Et dans l’Iliade, a fortiori dans notre pièce, l’orgueil, la colère et la vengeance dominent tout.

Il peut exister des « guerres justes », qui sont menées par exemple dans le but de survivre (à l’invasion, l’extinction…) mais elles restent très rares. Dans tous les cas, les guerres sont très destructrices et les premières victimes sont toujours les civils.

  • Vous avez évoqué Hélène. Dans An Iliad, elle n’intéresse pourtant pas le poète (« Helen being more beautiful than somebody – it doesn’t matter[4]») et ne joue aucun rôle dans la pièce. Les autres personnages féminins sont également assez effacés : Andromaque est l’épouse dévouée puis la veuve éplorée, Hécube n’apparaît qu’une fois. C’est finalement une histoire très masculine.

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C’est vrai et nous le regrettons un peu. Dans une première version, Cassandre jouait un grand rôle, Hélène et Hécube participaient davantage. Mais il ne faut pas oublier qu’au centre de cette histoire se trouvent deux personnages, Achille et Hector. Et notre pièce tourne autour de l’affrontement entre ces deux héros. Ainsi, Ménélas n’apparaît pas non plus et Agamemnon n’a que quelques répliques, qui sont malgré tout nécessaires à la poursuite de l’intrigue. L’Iliade présente pourtant de grands personnages féminins très intéressants ; hormis ceux qu’on a cités, on pense aussi à Iphigénie par exemple.

J’avais proposé un rôle à la comédienne Fiona Shaw, qui est une de mes amis, et qui lui correspondait tout à fait car il s’agissait d’un monologue comme elle les apprécie. Mais elle a refusé car elle considérait qu’il s’agit d’une histoire d’hommes et que cela n’était pas pour elle. Les femmes sont certes également violentes mais la guerre est la plupart du temps une affaire d’hommes. Et le fait que les femmes soient quasi silencieuses dans notre pièce est finalement ironique.

  • Vous avez dit d’An Iliad qu’il s’agit d’un « evening of old-fashioned storytelling » (un conte du soir un peu démodé). Pouvez-vous expliquer ?

Il s’agit de théâtre vivant : une discussion entre l’acteur et le public qui met en perspective la tradition pour interroger notre époque.

Je ne connais pas les traditions culturelles françaises mais aux Etats-Unis, l’expression storytelling évoque les contes que l’on se raconte autour d’un feu, la nuit, à la belle étoile. Cette tradition orale est issue d’Homère, qu’on appelle bard (aède en français) et qui, selon certaines suppositions, récitait en chantant. Nous avons repris quelque peu cette tradition dans notre pièce, qui se déroule dans un cadre intime où l’acteur s’adresse directement au public. Il s’agit de théâtre vivant : une discussion entre l’acteur et le public qui met en perspective la tradition pour interroger notre époque.

Nous n’avions pourtant, à l’origine, pas imaginé que notre pièce puisse se concevoir comme une storytelling ; elle était davantage une réflexion sur la guerre. Mais elle s’inscrit finalement dans la tradition du théâtre ancien : un homme seul sur scène qui transpose des images et des histoires en mots.

  • En plus de la figure de l’aède Homère, le poète ne peut-il pas être vu également comme un témoin un peu désespéré de la folie humaine, lui qui est condamné à assister et à raconter toutes les guerres des hommes et leurs horreurs, depuis Troie jusqu’au conflit actuel en Syrie en passant par la guerre de Cent Ans ou la Seconde Guerre mondiale ?

Le poète est justement condamné par les dieux à cette tâche ingrate et son travail consiste à narrer ces batailles pour en faire des épopées. Mais il est en proie à la lassitude. Et il témoigne effectivement de tous ces événements pour servir la mémoire collective, pour que les hommes n’oublient pas le passé et le gaspillage de vies humaines que ces guerres occasionnent. Si la Seconde Guerre par exemple a été une « guerre juste » contre la barbarie, elle a aussi eu comme résultat un énorme gaspillage, celui de millions de vies humaines. C’est la même chose en Syrie et en Irak et pour quels résultats ? Quel a été le bilan de l’engagement américain en Irak ? Qu’a-t-il construit ?

  • Vous évoquez justement ce gaspillage de vies humaines quand vous énumérez, dans la pièce, des jeunes soldats issus des quatre coins des Etats-Unis, que vous comparez aux jeunes Achéens venus de toute la Grèce. Vous indiquez d’ailleurs en note de bas de page qu’il est possible de s’adapter au pays dans lequel le spectacle se produit. Si c’est en France par exemple, il s’agira de jeunes Français.

Je viens justement de recevoir la traduction de ce passage de la pièce en français et il va falloir que j’apprenne les noms des localités françaises… Nous avons déjà adapté cet extrait en mandarin, quand nous nous sommes produits en Chine, en roumain, en arabe, en espagnol. Mais pas encore en grec ! Et pour la première fois, de plus larges extraits que ce simple passage seront traduits en français puisqu’à peu près 15% du texte seront traduits.

Il y a, disséminées dans la pièce, quelques sections modernes assez courtes où le poète s’exprime dans un contexte contemporain, en utilisant un langage du quotidien et des métaphores modernes, et met temporairement de côté le cadre de la guerre de Troie.

  • Il y a un jeu assez intéressant sur le langage, puisque vous mêlez du grec ancien, de l’anglais versifié et de l’anglais contemporain. La version en vers est tirée de la traduction de Robert Fagles, un universitaire et poète américain. Pourquoi, parmi la myriade de traductions de l’Iliade en anglais, avoir choisi celle-ci en particulier ?

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Pour plusieurs raisons. La première était qu’en 2003, au moment d’écrire la pièce, Robert Fagles vivait encore. Il habitait Princeton et nous espérions à l’époque lui rendre visite. Mais il est mort en 2008 ; nous nous sommes liés d’amitié avec sa veuve, à qui nous reversons des droits à chaque représentation.

Il existe aussi la traduction de George Chapman, qui est très ancienne puisqu’elle remonte au XVIIème siècle, mais elle reflète davantage l’esprit anglais de l’époque que l’esprit grec. Il y a également une traduction moderne de Stanley Lombardo, qui est merveilleuse et très musclée. Mais celle de Fagles nous a davantage séduits car elle mélange la poésie, l’épique et le bon sens anglais allié au bon sens grec. Elle est d’ailleurs reconnue dans le monde anglo-saxon comme la meilleure traduction d’Homère.

  • La traduction de Fagles est rédigée en hexamètres dactyliques et non en pentamètres ïambiques, contrairement à la tradition. Qu’est-ce que cela change en termes de rythme et de récitation ?

Le pentamètre ïambique, c’est la langue de Shakespeare, le rythme naturel de l’anglais, comme dans « to be or not to be, that is the question[5] », qui en est l’exemple parfait. Le rythme en grec est totalement différent [ici, Denis O’Hare déclame des vers en grecs dans leur rythmique], tout comme le rythme français en alexandrin. Fagles n’a pas utilisé beaucoup le rythme, curieusement. Il privilégie davantage le sens, y compris dans le vers.

  • Si l’on revient au poète, on peut remarquer également qu’il ressemble à ces personnages maudits de la mythologie, condamnées à répéter indéfiniment leurs actes, tels Sisyphe et son rocher, ou Prométhée se faisant dévorer le foie et qui, sans cesse, se reforme. Le poète est condamné à ressasser éternellement les récits des horreurs de la guerre. Comme il le dit au début de la pièce : « Every time I sing this song, I hope it’s the last time ». Ce lien avec la mythologie était-il conscient ?

Pour moi, l’interprétation qu’on doit donner du poète est ouverte : il peut s’agit d’un mortel, d’un fantôme ou que sais-je et chaque comédien qui l’interprète doit le jouer selon la conception qu’il en donne.

Oui, toutes ces figures maudites, qu’il s’agisse de mortels ou de demi-dieux, étaient des sources d’inspiration. Cela dit, la conception de Lisa et de moi-même diffère. Pour moi, l’interprétation qu’on doit donner du poète est ouverte : il peut s’agit d’un mortel, d’un fantôme ou que sais-je et chaque comédien qui l’interprète doit le jouer selon la conception qu’il en donne. Ainsi, je me souviens qu’un comédien l’avait joué comme s’il s’agissait d’un fou dans un hôpital psychiatrique, prisonnier entre quatre murs. Pour ma part, je le joue comme une figure beckettienne, un personnage du théâtre de l’absurde : le poète vit-il réellement ? Rêve-t-il ? Je le vois davantage comme un personnage qui attend la mort, dans sa petite chambre spartiate. Il ne sait pas s’il est là pour une nuit, un an ou l’éternité. Il n’est pas vraiment de notre monde.

  • Comment vous êtes-vous réparti le travail d’écriture et de mise en scène, Lisa Peterson et vous ?

Tout dépend du projet. Nous avons composé trois pièces ensemble et celle sur laquelle nous travaillons actuellement est une adaptation au théâtre de la chute de Rome. On a produit un premier brouillon mais en l’état, la pièce durerait 2h45 et ce n’est pas possible. Il s’agit d’un monologue récité par une femme, témoin de la chute de Rome (je ne peux pas en dire plus encore). Un second projet concerne un dialogue portant sur la Bible, entre une femme athée et un jeune garçon, qui se destine à la prêtrise mais qui est homosexuel et qui lutte contre ses démons intérieurs.

Pour An Iliad, on a raisonné par « morceaux » ou « sections ». Ainsi, j’ai bien étudié et analysé l’histoire de Pâris puis Lisa m’a posé des questions, au cours d’entretiens filmés sur mon interprétation du personnage. Elle me demandait d’improviser. Nous avons ensuite couché exactement ce que je disais sur le papier et nous avons conservé dans le texte définitif de la pièce de nombreux passages qui ne sont en fait que la retranscription de mes improvisations. On a fait la même chose avec Lisa.

Nous avons aussi écrit certains passages. L’extrait débutant par « I wish I could show you a picture of Troy[6] » est de moi. Les dialogues entre Hector et Andromaque sont d’elle.

On peut estimer l’apport de Fagles dans la pièce à 20-30% de l’ensemble ; 30% sont issus de nos improvisations. Le reste provient de notre écriture.

  • Dans la pièce, les dieux sont présents. Pourquoi avoir choisi de conserver le caractère sacré et surnaturel du récit en les faisant intervenir ?

Nous avons essayé de nous en passer dans les premières versions mais cela ne fonctionnait pas. Pour les Grecs, les dieux font partie intégrante de la vie de la cité et a fortiori dans l’Iliade où ils jouent un rôle prépondérant. On peut considérer un événement particulier, par exemple l’épisode du casque de Patrocle, comme quelque chose de naturel, rationnel (le vent aurait fait tomber son casque, ce qui aurait permis aux Troyens de le reconnaître) ou bien comme quelque chose de surnaturel (c’est Apollon qui fait tomber son casque dans le but de lui nuire).

  • C’est peut-être aussi la fatalité contre laquelle se battent les héros, tel Achille, dont la destinée est de mourir jeune plein de gloire, d’une blessure au talon.

Cela dépend des versions. Ainsi, une source mentionne un piège tendu par Pâris, qui se serait offert à Achille dans un temple dédié à Athéna et qui en aurait profité pour le tuer. L’histoire de la blessure au talon remonte en fait au Moyen-Age.

  • Malgré le côté tragique de l’histoire, votre pièce est remplie d’humour, contrairement à la version originale ; ainsi, le poète ne se souvient pas du nom du cheval d’Achille, ni des (nombreux) frères et sœurs d’Hector. Est-ce pour rendre le récit un peu plus humain ou émouvant ?

L’humour est nécessaire car il s’agit d’une pièce triste et assez difficile. J’aime autant la comédie que la tragédie, pour avoir joué les deux sur scène. Et il est très important pour moi de conserver quelques touches humoristiques ; c’est bon aussi pour le public, sur qui la tension se relâche un peu. Comme on dit en anglais : give me a break !

  • En plus des passages humoristiques, il y a également des passages très émouvants et beaux, comme lorsque le roi Priam traverse au péril de sa vie le camp grec pour recueillir la dépouille de son fils.

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C’est un sentiment très humain et c’est le prix de la guerre. Ces deux ennemis, Priam et Achille, se rencontrent et décident de faire une trêve de onze jours, le temps de procéder aux funérailles d’Hector et respecter la tradition. Ces traditions ont la plupart du temps été respectées en temps de guerre ; je pense notamment à la Première Guerre mondiale où les soldats des tranchées, au moment de Noël, ont décidé de s’accorder une trêve le temps des réjouissances et de célébrer Noël. Il n’y a rien de plus humain que cela. Achille et Priam pleurent ensemble, l’un la mort de son ami, l’autre celle de son fils. Et c’est d’autant plus poignant que ces deux héros mourront en même temps quelques jours plus tard. Il faut savoir que le récit de l’Iliade tel qu’il est conté par Homère ne se déroule que sur quarante jours ; il s’achève à la mort d’Hector.

  • La guerre a aussi, malgré tout, une certaine beauté ; ainsi, la confrontation des deux armées est décrite comme le choc de torrents en furie, c’est assez paradoxal.

C’est la beauté de la gloire. On retrouve cet attrait dans l’intérêt que portent les jeunes à des films ou des jeux vidéo comme Call of Duty ou Troie avec Brad Pitt. Beaucoup d’importance est accordée à ces figures guerrières, viriles, toujours en action, qui évoluent la plupart du temps dans un schéma assez simple : la vengeance contre un méchant qui leur a fait du mal.

  • Un mot sur l’accompagnement musical dans la pièce ; c’est une autre référence à la tradition orale pour laquelle les contes étaient chantés ?

Pour nous, le musicien présent sur scène est une muse.

Dans une première version de la pièce, le poète se trouvait dans une taverne et nous avions un autre personnage, une barmaid. De temps en temps, elle actionnait le juke-box et lui parlait. On a changé car notre ami Mark Bennett, le compositeur de la musique de cette pièce, nous avait plutôt conseillé de faire jouer la musique par un autre acteur, ce qui rendait mieux qu’une musique enregistrée.On a ensuite effacé le personnage de la barmaid pour que le poète soit isolé sur un plateau vide, mais Mark a insisté pour qu’un musicien soit quand même présent et il a fini par nous convaincre. Pour nous, le musicien présent sur scène est une muse. Sa musique inspire le poète en même temps qu’elle le soutient et le guide et quand ce dernier se fatigue, elle vient le réveiller pour qu’il continue.

  • Lisa Peterson et vous êtes les membres fondateurs d’un collectif qui s’appelle Homer’s Coat qui explore la « foundational literature ». En quoi cela consiste exactement ?

C’est l’exploration des grandes œuvres fondatrices de la culture occidentale et plus largement mondiale. Comme on le disait tout à l’heure, on a commencé avec Homère puis la Bible et l’histoire de Rome avec l’Enéide de Virgile, Tacite, Suétone… J’aimerais également m’atteler à la Divine Comédie de Dante, plus principalement l’Enfer. Et un jour, pourquoi pas aborder la Mahâbhârata ou la littérature chinoise.

  • Victor Hugo disait dans La Légende des Siècles: « Hérodote fait l’Histoire, Homère fait la légende. » Que représentent justement Homère et son œuvre dans la culture occidentale ?

Il est intéressant de constater que Jules César, Alexandre le Grand, Napoléon, tous les grands personnages de l’Histoire ont lu l’Iliade d’Homère. Ils recherchent tous, en un certain sens, la gloire des héros de l’Iliade, ils s’inspirent de leur attitude.

On ne sait pas si Achille et Hector ont vraiment existé (de même que les personnages légendaires de la Rome antique comme Enée, Rémus ou Romulus, et ceux de la Bible comme Moïse ou Abraham) mais ils ont en tout cas été des modèles. Il y a un chevauchement entre Histoire et légende ; on le voit avec le Christ qui, s’il a bien existé, n’a été mentionné que par deux sources romaines dont Flavius Josèphe. A l’époque, ce n’était pas important, il ne représentait qu’un culte modeste. Mais comme on le sait, l’Histoire est écrite par les vainqueurs.

  • Vous jouerez au théâtre du Rond-Point à partir de janvier 2020. Vous avez d’ailleurs choisi de vivre en France depuis quelque temps. Quel rapport entretenez-vous avec ce pays et sa culture théâtrale ?

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Elle est aussi importante pour moi que la culture théâtrale anglaise. J’apprécie beaucoup Molière, j’ai d’ailleurs joué Tartuffe en Angleterre l’an dernier. C’était un rêve. J’étais sur le Pont-Neuf il y a quelques jours pour une visite guidée et le guide m’a appris que c’était là que Molière avait fait ses débuts sur une petite scène avec une troupe italienne et j’ai trouvé cela émouvant de me retrouver, quelques centaines d’années plus tard, au même endroit. Il y a une tradition théâtrale très riche en France mais dans le même temps, le théâtre est aussi moderne et vivant. Je viens de voir une adaptation des Indes galantes de Rameau à l’opéra où se mélangeaient le classique et le hip hop et j’ai trouvé cela incroyable. Me produire ici à Paris me rend assez anxieux et je ne sais pas comment le public français recevra cette pièce mais j’espère qu’il appréciera.

Je viens d’ailleurs de tourner mon premier film français, avec Benoît Delépine et Gustave Kervern, où je joue une petite scène, mais en anglais.

  • Vous êtes un acteur de théâtre mais aussi de cinéma, de comédies musicales et de séries télévisées. Avez-vous une méthode de jeu particulière pour chacun de ces arts du spectacle ?

C’est différent, tout dépend du projet. Au théâtre, on répète de trois à cinq semaines avant la première et on utilise ce temps pour bien explorer le personnage qu’on va interpréter. Pour le cinéma et la télévision, on doit arriver sur le plateau en étant totalement incarné dans le personnage. On a droit à environ cinq prises et c’est bon. Concernant les séries, c’est encore différent car on conserve le même personnage pendant une ou plusieurs saisons. Dans American Horror Story par exemple, j’ai joué cinq saisons ; j’ai ainsi incarné le personnage de Liz Taylor dans la saison « Hotel », pendant cinq à six mois de ma vie et j’ai eu le temps de l’explorer sur dix épisodes. D’autant plus que les scénaristes me guidaient en m’en apprenant un peu plus à chaque fois sur ce personnage.

J’aime autant le théâtre que le cinéma ou les séries car cela me donne l’occasion d’expérimenter trois méthodes différentes.

  • Vous semblez apprécier les longs monologues. Ainsi, vous avez remporté un Tony Award du meilleur second rôle pour votre interprétation dans Take Me Out de Richard Greenberg en grande partie parce que vos monologues étaient assez impressionnants. Est-ce vrai ?

C’est drôle parce que j’ai rencontré mon premier succès à Chicago, où j’ai étudié à l’université Northwestern, dans une pièce de John Logan[7], grand écrivain et scénariste et qui est devenu un ami. Cette pièce s’appelle Hauptmann, sur le ravisseur du bébé de Lindbergh, un immigrant allemand accusé de ce crime et exécuté sur la chaise électrique. Elle n’est composée pratiquement que de monologues. C’est effectivement très représentatif de ma carrière. A ce titre, la scène que j’ai préférée parmi toutes celles que j’ai jouées se trouve dans la troisième saison de True Blood où mon personnage, le roi du Mississippi, a un long monologue et s’adresse à la caméra.

  • Vous avez collaboré avec de grands cinéastes : Gus Van Sant, Clint Eastwood, Mike Nichols, Woody Allen… Quelle a été votre expérience la plus marquante ?

Je dirais que j’ai beaucoup apprécié de travailler avec Michael Winterbottom et un de mes films favoris est justement In This World qui raconte le périple d’un jeune homme qui souhaite échapper à la guerre en Afghanistan et arrive en Turquie pour chercher refuge. C’est émouvant et très impressionnant. Peu de temps après que je l’ai vu, mon agent m’appelle en m’informant que Winterbottom veut me rencontrer pour son prochain film, A Mighty Heart (Un Cœur invaincu en français), sur la véritable histoire de l’épouse de Daniel Pearl, le journaliste américain exécuté au Pakistan par des terroristes islamistes. Ce rôle a été joué par Angelina Jolie et j’ai adoré cette expérience, tourner en Inde avec Winterbottom et Marcel Zyskind, le directeur de la photographie. Il y avait beaucoup d’improvisation car le réalisateur nous demandait d’oublier le texte. C’était une expérience très enrichissante.

  • Depuis les années 2000, les séries télévisées prennent beaucoup d’ampleur. Peut-on dire, à votre avis, qu’elles sont l’avenir du cinéma ?

Qui sait ? Peut-être, car c’est un univers plus vaste qu’un film qui dure deux heures. Et de nombreuses histoires nécessitent plus de deux heures. Par exemple, je viens de terminer The Goldfinch (le Chardonneret), tiré d’un roman de Donna Tartt. Et certaines personnes ont estimé que cela aurait peut-être été meilleur si le roman avait été adapté en série télévisée car l’intrigue est dense (elle se déroule sur une quinzaine d’années, à New York, Las Vegas, Amsterdam). Je suis d’accord là-dessus. Tout dépend des pièces ou des romans : certains sont mieux servis au cinéma, d’autres en séries. Tous les films Marvel de super-héros (X-Men, Spiderman etc.) sont en fait des séries, même s’ils sortent au cinéma. Mais les personnages sont les mêmes, dans des contextes différents. Et c’est plus cher…

Et de nombreuses séries sont adaptées de romans : True Blood, Game of Thrones… Je vais bientôt tourner une autre série qui s’appelle The Nevers de Joss Whedon ainsi qu’American Gods, tiré d’une œuvre de Neil Gaiman. Maintenant que ces séries existent, quel est leur avenir ? On est en terrain inconnu.

Propos recueillis par Guillaume Narguet

[1]https://www.theatredurondpoint.fr/spectacle/an_iliad/

[2] Chant XVIII de l’Iliade :

« Ah ! que la dissension périsse parmi les Dieux ! et, parmi les hommes, périsse la colère qui trouble le plus sage, et qui, plus douce que le miel liquide, se gonfle, comme la fumée, dans la poitrine des hommes ! C’est ainsi que le roi des hommes, Agamemnon, a provoqué ma colère. » (traduction de Leconte de Lisle)

[3] Chant I de l’Iliade :

« Chante la colère, déesse, du fils de Pélée, Achille, colère funeste qui causa mille douleurs aux Achéens, précipita chez Hadès mainte âme forte de héros, et fit de leurs corps la proie des chiens et des oiseaux innombrables : la volonté de Zeus s’accomplissait. Commence à la querelle qui divisa l’Atride, roi de guerriers, et le divin Achille.

Quel dieu, en cette querelle, les lança l’un contre l’autre ? » (traduction d’Eugène Lasserre)

[4] « Hélène pouvant être plus belle qu’une autre, cela n’a que peu d’importance. »

[5] Les syllabes en gras sont accentuées, sur ce modèle : x __ x __ x __ __ x x __ x

Dans ce vers, le pentamètre est composé d’une suite de trois ïambes (x __) + un trochée (syllabe accentuée suivie d’une syllabe non accentuée (« that is ») + un ïambe à terminaison féminine (« question »), c’est-à-dire une syllabe supplémentaire non accentuée

[6] « J’aurais souhaité vous montrer une photographie de Troie. »

[7] Auteur également de la célèbre pièce Red.

English version 

Denis O’Hare: “The Iliad is a story of pride, anger and vengeance”.

Although his name may not be known to the general public, his face is familiar to moviegoers (who have seen him in Gus Van Sant’s Harvey Milk, J. Edgar and the Exchange by Clint Eastwood, or Jean-Marc Vallée’s Dallas Buyers Club) and fans of series (True Blood, American Horror Story or The Good Wife). But Denis O’Hare is also an insatiable theater actor, accustomed to Broadway musicals (from the great classic Cabaret to Stephen Sondheim’s productions such as Assassins or Into the Woods), and, a facet of his work still unknown in France, a playwright. He has thus co-written with Lisa Peterson an adaptation of the Iliad, called An Iliad, not (yet?) translated into French, which he will perform for its French premiere at the Théâtre du Rond-Point from January 2020 [1]. And it is in this capacity that Zone Critique went to meet the King of the Mississippi.

The first question that comes to mind is of course the title : An Iliad, an Iliad in French. To what extent can there be more than one Iliad?

In our play we focus on this duality but also on the reasons for anger, why humanity feels angry and how it translates this state of mind into action.

Indeed, this piece is not an adaptation of the entire Iliad, but a small window that opens onto the great work. This one contains a lot of themes, be it epic, heroism, love, friendship etc. but what really mattered to Lisa Peterson and me was the confrontation between Achilles and Hector and, in particular, the fate of Achilles’ soldier, a tragic character. This function was assigned to him at birth, which leads him to fight at every moment against his fellow men, but deep down he refuses to do so, because he is nevertheless a man of peace. He is very representative of the war-peace duality that torments men, as can be seen in this tirade that he pronounces:

If only strife could die from the lives of gods and men

And anger that drives the sanest man to flare in outrage –

Bitter gall, sweeter than dripping streams of honey,

That swarms in people’s chest and blinds like smoke –

Just like the anger Agamemnon king of men

Has roused within me now[2] … “

In our play we focus on this duality but also on the reasons for anger, why humanity feels angry and how it translates this state of mind into action.

The first word in the play is “rage”, which heralds the dramatic tone of the story.

That’s right. It’s actually a passage in Greek. We take the first lines of the Iliad, which we chose to keep in their original version.

Μῆνιν ἄειδε, θεά, Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος

οὐλομένην, ἣ μυρί᾽ Ἀχαιοῖς ἄλγε᾽ ἔθηκε,

πολλὰς δ᾽ ἰφθίμους ψυχὰς Ἄϊδι προΐαψεν

ἡρώων, αὐτοὺς δὲ ἑλώρια τεῦχε κύνεσσιν

5 οἰωνοῖσί τε πᾶσι, Διὸς δ᾽ ἐτελείετο βουλή,

ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε

Ἀτρεΐδης τε ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεύς[3].

What was the genesis of your play? What led you and Lisa Peterson to adapt the Iliad for the theater?

Lisa contacted me about fifteen years ago, when the United States had just entered the Iraq war. She asked me if I had read the Iliad, which was not the case (whereas I had read The Odyssey), and offered to adapt it into a play. I accepted, but I was convinced that it would never happen, and I didn’t really see where it was coming from. But since I always say yes to what I’m offered (you never know…), we took the plunge. We worked on it and then the first one took place in New York in 2012, nine years later.

Was there then a political motivation behind this play, like a denunciation, based on a founding text, of contemporary wars?

Perhaps the aim was not so much to denounce war as such, because it is a reality of life, it is an integral part of Man and his history.

Perhaps the aim was not so much to denounce war as such, because it is a reality of life, it is an integral part of Man and his history. It was rather to reflect on the motivations that drive men to wage war on each other, to perpetrate acts of violence. How can war be seen as a solution to the problems that arise? There are, however, other ways of resolving conflicts: diplomacy, art, the exchange of ideas and different points of view through travel, for example. We notice that the causes of war are always strange, personal, almost sentimental. Thus, the origin of the Trojan War is the abduction of Helen, wife of the Greek Menelaus, by the Trojan Pâris. But in the end, Helen is of little importance, she is a pretext. The real cause of the war is the pride of men: you stole something of mine and I cannot bear it. Honor must therefore be avenged. And in the Iliad, a fortiori in our play, pride, anger and revenge dominate everything.

There may be “just wars”, which are fought for example in order to survive (invasion, extinction…) but they are very rare. In any case, wars are very destructive and the first victims are always civilians.

You mentioned Helen. In An Iliad, however, she does not interest the poet (“Helen being more beautiful than somebody – it doesn’t matter [4]”) and plays no part in the play. The other female characters are also quite self-effacing: Andromache is the devoted wife and then the grieving widow, Hecuba appears only once. It is finally a very masculine story.

It is true and we regret it a little. In a first version, Cassandra played a big role, Helen and Hecuba were more involved. But we must not forget that at the center of this story are two characters, Achilles and Hector. And our play revolves around the confrontation between these two heroes. Thus, Menelaus does not appear either and Agamemnon has only a few lines, which are nevertheless necessary to continue the plot. The Iliad however presents great and very interesting female characters; apart from those mentioned, one also thinks of Iphigenia for example.

I had offered a role to the actress Fiona Shaw, who is a friend of mine, and it was a perfect match for her because it was a monologue as she likes them. But she turned it down because she felt that it was a men’s story and that it was not for her. Women are certainly equally violent, but war is mostly a man’s business. And the fact that women are almost silent in our room is ultimately ironic.

You called An Iliad an “evening of old-fashioned storytelling”. Can you explain?

I am not familiar with French cultural traditions, but in the United States, the expression storytelling evokes the tales we tell each other around a fire, at night, under the stars. This oral tradition comes from Homer, who is called bard (aède in French) and who, according to certain assumptions, recited while singing. We have taken up this tradition somewhat in our play, which takes place in an intimate setting where the actor addresses the audience directly. It is living theater: a discussion between the actor and the audience that puts tradition into perspective in order to question our times.

However, we had not originally imagined that our play could be conceived as storytelling; it was more a reflection on war. But in the end, it is in keeping with the tradition of ancient theater: a man alone on stage who transposes images and stories into words.

In addition to the figure of bard Homer, can’t the poet also be seen as a somewhat desperate witness of human madness, he who is condemned to witness and tell all the wars of men and their horrors, from Troy to the current conflict in Syria through the Hundred Years War or the Second World War?

The poet is justly condemned by the gods to this ungrateful task and his work consists in narrating these battles in order to turn them into epics. But he is prey to weariness. And he does indeed bear witness to all these events in order to serve the collective memory, so that men do not forget the past and the waste of human lives that these wars cause. If the Second World War, for example, was a “just war” against barbarism, it also resulted in an enormous waste of millions of human lives. It is the same thing in Syria and Iraq, and for what results? What has been the balance sheet of the American engagement in Iraq? What has it built?

You mention this waste of human lives when you list, in the room, young soldiers from all over the United States, and compare them to young Achaeans from all over Greece. You also indicate in a footnote that it is possible to adapt to the country in which the show is performed. If it is in France, for example, it will be young French people.

I have just received the translation of this passage of the play in French and I will have to learn the names of the French localities… We have already adapted this excerpt in Mandarin, when we performed in China, in Romanian, in Arabic, in Spanish. But not yet in Greek! And for the first time, larger excerpts than this single passage will be translated into French, since about 15% of the text will be translated.

There are, scattered throughout the play, some fairly short modern sections where the poet expresses himself in a contemporary context, using everyday language and modern metaphors, and temporarily setting aside the framework of the Trojan War.

There is a rather interesting play on language, as you mix ancient Greek, versified English and contemporary English. The verse version is taken from the translation of Robert Fagles, an American academic and poet. Why, among the myriad translations of the Iliad into English, did you choose this one in particular?

For several reasons. The first was that in 2003, at the time the play was written, Robert Fagles was still alive. He was living in Princeton and we were hoping at the time to visit him. But he died in 2008, and we befriended his widow, to whom we pay a fee for each performance.

There is also the translation by George Chapman, which is very old, dating back to the 17th century, but it reflects more the English spirit of the time than the Greek spirit. There is also a modern translation by Stanley Lombardo, which is wonderful and very muscular. But the one by Fagles appealed to us more because it mixes poetry, epic and English common sense with Greek common sense. It is moreover recognized in the Anglo-Saxon world as the best translation of Homer.

The translation of Fagles is written in dactyl hexameters and not in ïambic pentameters, contrary to tradition. What does this change in terms of rhythm and recitation?

The ïambic pentameter is Shakespeare’s language, the natural rhythm of English, as in “to be or not to be, that is the question [5]”, which is the perfect example. The rhythm in Greek is totally different [here, Denis O’Hare declaims verses in Greek in their rhythmics], just like the French rhythm in Alexandrian. Fagles did not use rhythm much, curiously. He favors more the sense, including in the verse.

If we return to the poet, we can also notice that he resembles those cursed characters of mythology, condemned to repeat their acts indefinitely, such as Sisyphus and his rock, or Prometheus being devoured by the liver and constantly reforming himself. The poet is condemned to dwell eternally on the tales of the horrors of war. As he says at the beginning of the piece: “Every time I sing this song, I hope it’s the last time”. Was this link with mythology conscious?

Yes, all these cursed figures, whether mortals or demigods, were sources of inspiration. That said, Lisa’s and my conception of myself differ. For me, the interpretation of the poet is open-ended: he may be a mortal, a ghost, or whatever, and every actor who plays him has to play him according to his own conception of him. For example, I remember that an actor played him as if he were a madman in a psychiatric hospital, a prisoner within four walls. For my part, I play him like a Beckettian figure, a character from the theater of the absurd: does the poet really live? Does he dream? I see him more as a character waiting for death, in his little Spartan room. He doesn’t know if he’s there for one night, one year or eternity. He is not really from our world.

How did you and Lisa Peterson divide up the work of writing and directing?

It all depends on the project. We have composed three plays together and the one we are currently working on is an adaptation for the theater of the fall of Rome. We produced a first draft but as it stands, the play would last 2 hours and 45 minutes and that’s not possible. It is a monologue recited by a woman who witnessed the fall of Rome (I can’t say more). A second project concerns a dialogue about the Bible, between an atheist woman and a young boy, who is destined for the priesthood but who is homosexual and struggles against his inner demons.

For An Iliad, we reasoned by “pieces” or “sections”. Thus, I studied and analyzed the story of Paris and then Lisa asked me questions, during filmed interviews on my interpretation of the character. She asked me to improvise. We then put down exactly what I said on paper and we kept in the final text of the piece many passages which are in fact only the transcription of my improvisations. We did the same thing with Lisa.

We also wrote some passages. The excerpt beginning with “I wish I could show you a picture of Troy [6]” is from me. The dialogues between Hector and Andromache are from her.

Fagles’ contribution to the piece can be estimated at 20-30% of the whole; 30% comes from our improvisations. The rest comes from our writing.

In the piece, the gods are present. Why did you choose to preserve the sacred and supernatural character of the story by involving them?

We tried to do without the gods in the first versions but it didn’t work.

We tried to do without them in the first versions but it didn’t work. For the Greeks, the gods are an integral part of the life of the city and a fortiori in the Iliad where they play a preponderant role. We can consider a particular event, for example the episode of Patrocle’s helmet, as something natural, rational (the wind would have made his helmet fall, which would have allowed the Trojans to recognize him) or as something supernatural (it is Apollo who makes his helmet fall in order to harm him).

It may also be the fatality against which heroes fight, such as Achilles, whose destiny is to die young and full of glory, from a heel wound.

It depends on the version. For example, one source mentions a trap set by Paris, who allegedly offered himself to Achilles in a temple dedicated to Athena and took advantage of the occasion to kill him. The history of the heel wound actually dates back to the Middle Ages.

Despite the tragic side of the story, your play is full of humor, contrary to the original version; for example, the poet does not remember the name of Achilles’ horse, nor of Hector’s (many) brothers and sisters. Is it to make the story a little more human or moving?

Humor is necessary because it is a sad and rather difficult play. I like comedy as much as I like tragedy, for having played both on stage. And it’s very important for me to keep some humorous touches; it’s also good for the audience, on whom the tension eases a bit. As they say in English: give me a break!

In addition to the humorous passages, there are also some very moving and beautiful passages, such as when King Priam crosses the Greek camp at the risk of his life to collect the remains of his son.

Achilles and Priam mourn together, one the death of his friend, the other the death of his son.

It is a very human feeling and it is the price of war. These two enemies, Priam and Achilles, meet and decide to call a truce for eleven days, the time to proceed with Hector’s funeral and respect the tradition. These traditions have been respected most of the time in times of war; I am thinking in particular of the First World War when the soldiers in the trenches decided to grant each other a truce during Christmas time. There is nothing more humane than that. Achilles and Priam mourn together, one the death of his friend, the other the death of his son. And it is all the more poignant because these two heroes will die at the same time a few days later. It should be noted that the story of the Iliad as told by Homer only lasts forty days; it ends with Hector’s death.

The war also has, in spite of everything, a certain beauty; thus, the confrontation of the two armies is described as the clash of raging torrents, which is rather paradoxical.

This is the beauty of glory. We find this appeal in the interest that young people have in films or video games such as Call of Duty or Troy with Brad Pitt. A lot of importance is given to these warlike, virile figures, always in action, who most of the time evolve in a rather simple pattern: revenge against a villain who has hurt them.

A word about the musical accompaniment in the piece; this is another reference to the oral tradition for which the tales were sung?

In a first version of the play, the poet was in a tavern and we had another character, a barmaid. From time to time, she would activate the jukebox and talk to him. We changed because our friend Mark Bennett, the composer of the music for this play, had advised us to have the music played by another actor, which was better than recorded music. We then deleted the bartender character so that the poet would be isolated on an empty stage, but Mark insisted that a musician be present anyway and he finally convinced us. For us, the musician on stage is a muse. His music inspires the poet as well as supports and guides him, and when he gets tired, it comes to wake him up to continue.

 You and Lisa Peterson are the founding members of a collective called Homer’s Coat that explores “foundational literature”. What exactly does this consist of?

It’s an exploration of the great founding works of Western and more broadly global culture. As we said earlier, we started with Homer, then the Bible and the history of Rome with the Aeneid by Virgil, Tacitus, Suetonius… I would also like to work on Dante’s Divine Comedy, more specifically Hell. And one day, why not tackle the Mahâbhârata or Chinese literature.

Victor Hugo said in The Legend of the Centuries: “Herodotus makes history, Homer makes legend. “What exactly do Homer and his work represent in Western culture?

It is interesting to note that Julius Caesar, Alexander the Great, Napoleon, all the great figures of history have read Homer’s Iliad. They all seek, in a certain sense, the glory of the heroes of the Iliad, they are inspired by their attitude.

We do not know if Achilles and Hector really existed (as did the legendary figures of ancient Rome such as Aeneas, Remus or Romulus, and those of the Bible such as Moses or Abraham) but they were in any case models. There is an overlap between history and legend; we can see it with Christ who, if he did exist, was mentioned only by two Roman sources including Flavius Josephus. At the time, it was not important, it represented only a modest cult. But as we know, History is written by the victors.

You will play at the Rond-Point theater from January 2020. Moreover, you have chosen to live in France for some time. What is your relationship with this country and its theatrical culture?

I appreciate Molière very much, I actually played Tartuffe in England last year.

It is as important to me as English theater culture. I appreciate Molière very much, I actually played Tartuffe in England last year. It was a dream. I was on the Pont-Neuf a few days ago for a guided tour and the guide told me that it was there that Molière made his debut on a small stage with an Italian troupe and I found it moving to find myself, a few hundred years later, in the same place. There is a very rich theatrical tradition in France but at the same time, the theater is also modern and alive. I’ve just seen an adaptation of Rameau’s Les Indes galantes at the opera where classical and hip hop were mixed and I found it incredible. Performing here in Paris makes me quite anxious and I don’t know how the French audience will receive this play but I hope they will enjoy it.

I just shot my first French film, with Benoît Delépine and Gustave Kervern, where I play a small scene, but in English.

You are an actor of theater but also of cinema, musicals and television series. Do you have a particular method of acting for each of these performing arts?

It’s different, it depends on the project. In the theater, we rehearse three to five weeks before the premiere and use that time to explore the character we’re going to play. For film and television, you have to arrive on the set fully embodied in the character. You’re allowed about five takes and that’s it. For series, it’s still different because we keep the same character for one or more seasons. In American Horror Story, for example, I played five seasons; I played the character of Liz Taylor in the “Hotel” season for five or six months of my life and I had time to explore it over ten episodes. Especially since the writers guided me by teaching me a little bit more each time about this character.

I love theater as much as I love cinema or series because it gives me the opportunity to experiment with three different methods.

You seem to appreciate long monologues. For example, you won a Tony Award for Best Supporting Actor for your performance in Richard Greenberg’s Take Me Out largely because your monologues were quite impressive. Is this true?

It’s funny because I had my first success in Chicago, where I studied at Northwestern University, in a play by John Logan [7], a great writer and screenwriter who became a friend. The play is called Hauptmann, about the kidnapper of Lindbergh’s baby, a German immigrant accused of the crime and executed in the electric chair. It is composed almost entirely of monologues. It is indeed very representative of my career. As such, my favorite scene of all those I have played is in the third season of True Blood where my character, the King of Mississippi, has a long monologue and addresses the camera.

You have collaborated with great filmmakers : Gus Van Sant, Clint Eastwood, Mike Nichols, Woody Allen… What was your most memorable experience?

I would say that I really enjoyed working with Michael Winterbottom and one of my favorite films is precisely In This World, which tells the story of a young man who wants to escape the war in Afghanistan and arrives in Turkey to seek refuge. It’s moving and very impressive. Shortly after I saw it, my agent calls me and informs me that Winterbottom wants to meet me for his next film, A Mighty Heart (Un Coeur invaincu in French), about the true story of the wife of Daniel Pearl, the American journalist executed in Pakistan by Islamist terrorists. This role was played by Angelina Jolie and I loved the experience, shooting in India with Winterbottom and Marcel Zyskind, the cinematographer. There was a lot of improvisation because the director asked us to forget the text. It was a very enriching experience.

Since the 2000s, television series have become very popular. Can we say, in your opinion, that they are the future of cinema?

Who knows? Maybe, because it’s a bigger universe than a movie that lasts two hours. And many stories take more than two hours. For example, I just finished The Goldfinch, based on a novel by Donna Tartt. And some people thought it might have been better if the novel had been adapted into a TV series because the plot is dense (it takes place over a period of about fifteen years, in New York, Las Vegas, Amsterdam). I agree with that. It all depends on the plays or novels: some are better served in movies, others in series. All Marvel superhero movies (X-Men, Spiderman etc.) are actually series, even if they are released in theaters. But the characters are the same, in different contexts. And it’s more expensive…

And many series are adapted from novels: True Blood, Game of Thrones… I will soon shoot another series called The Nevers by Joss Whedon as well as American Gods, based on a work by Neil Gaiman. Now that these series exist, what is their future? We’re in uncharted territory.

Interview by Guillaume Narguet

1] https://www.theatredurondpoint.fr/spectacle/an_iliad/

2] Song XVIII of the Iliad

“Ah! let dissension perish among the Gods! and among men let the anger that troubles the wisest perish, and which, sweeter than liquid honey, swells like smoke in the breasts of men! This is how the king of men, Agamemnon, provoked my anger. “(translation from Leconte de Lisle).

3] Song I of the Iliad :

“Sing the anger, goddess, of the son of Peleus, Achilles, a fatal anger that caused a thousand pains to the Achaeans, rushed to Hades with a strong soul of heroes, and made their bodies the prey of countless dogs and birds: the will of Zeus was fulfilled. Begins the quarrel that divided the Atrid, king of warriors, and the divine Achilles.

What god, in this quarrel, threw them one against the other? “(translation by Eugène Lasserre).

4] “Helen may be more beautiful than another, so it is of little importance. »

5] Bold syllables are accentuated, on this model: x __ x __ x __ __ x x __ x __ x __ x __ x

In this verse, the pentameter is composed of a sequence of three legs (x __) + a trochanter (accented syllable followed by an unaccented syllable (“that is”) + a leg with a female ending (“question”), i.e. an additional unaccented syllable (“that is”).

6] “I would have liked to show you a photograph of Troy. »

7] Author also of the famous piece Red.